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Pragmatique de l’entretien entre l’Acupresseur et le patient

Un colloque singulier entre le praticien et son patient
Pragmatique de l’entretien patient/acupresseur
Par Fabrice LEYS
Ceci est mon article de fin d’étude suite à ma formation en Acupression & Bases de Qigong Tuina. Pour en savoir plus, vous pouvez me contacter ou suivre ce bouton pour découvrir cette formation.

Sommaire

Cet article nous amène dans la pratique de l’entretien patient/thérapeute dans le cadre de l’acupression, entre l’acupresseur et son consultant. Comment mener cet entretien ? Quels sont les écueils les plus fréquents ?

« Ne soyez pas un quêteur de gloire, ne soyez pas une fabrique à manigances. Ne soyez pas un entrepreneur de projets, ne soyez pas un propriétaire de savoir. Vagabondez dans l’illimité et faites-en votre demeure. Acceptez tout ce que vous recevez du ciel, mais ne pensez surtout pas que vous avez reçu quoi que ce soit. Soyez vacant, c’est tout. »

Morceaux choisis de Chuang Tzu (ou Tchouang-Tseu, 4e siècle av. JC), chef d’œuvre de la littérature et de la philosophie chinoises, développant les vertus du tao.

Introduction

En préambule, dans cet article je désignerai un acupresseur comme un thérapeute ou un praticien.

De même, la personne consultant l’acupresseur sera désignée comme un patient ou un client.

Depuis maintenant quelques décennies, nous assistons à un engouement de la population pour le bien-être et le développement personnel, lié d’une part à une prise de conscience de notre espérance de vie qui s’allonge, et d’autre part à une conscience écologique nous enjoignant à prendre soin de la Terre mais aussi de soi. Parallèlement à une médecine allopathique nécessaire mais pas suffisante, la médecine douce et les thérapies alternatives se sont accrues, plus particulièrement les formations en médecines orientales et les thérapies basées sur l’énergétique chinoise.

Le thérapeute spécialisé dans l’acupression, dite aussi digitopression, participe à ce développement et rencontre une patientèle (ce terme est plutôt réservé à la médecine occidentale reconnue mais nous l’empruntons à dessein pour illustrer cet article) désireuse de prévenir ses déséquilibres physiologiques ou psychiques, de prendre connaissance des bienfaits de cette technique, ou comme dernier ressort pour faire face à une pathologie lourde traitée de manière invasive par la médecine occidentale.

Le thérapeute rencontre donc une patientèle hétéroclite avec des demandes disparates. Certaines de ces demandes seront précises, d’autres prétextes à une séance de soins, et d’autres sans sollicitation particulière.

Contrairement au médecin généraliste de famille visité par des patients identifiés et dont le colloque se résume la plupart du temps à un questionnement sur les symptômes de la maladie et à l’examen clinique, le thérapeute en acupression doit établir une relation particulière de confiance pour déterminer la réalité des symptômes et mettre en œuvre le Wen Zhen (l’interrogatoire), la prise de pouls, l’examen de la langue et la palpation.

Le médecin en « blouse blanche » quant à lui fait autorité : il est le sachant et le malade se soumet la plupart du temps à son diagnostic. Cependant, l’époque favorisant l’accès à toutes les informations médicales, le patient devient moins passif et est en quête d’explications. Le thérapeute n’a pas cette autorité de statut et devra donc établir un cadre et une alliance

thérapeutique1 pour une meilleure prise en charge du patient. Je vais illustrer l’importance de ce colloque par plusieurs situations dans lesquelles je me suis retrouvé durant mon apprentissage.

Situation n°1 : mai 2021, comment le cadre peut anéantir une relation client-thérapeute.

Je me rends chez une thérapeute énergéticienne afin de faire un point sur ma circulation énergétique et déverrouiller certains canaux. Cette démarche est motivée par la volonté de mieux pratiquer le QIGONG et l’acupression.

Je me présente avec une certaine appréhension compte tenu de l’accueil énergique et impersonnel que j’ai eu lors de ma prise de rendez-vous téléphonique.

Lors de l’entrée dans le local dédié à ses soins, la thérapeute n’a pas cherché à capter mon regard ni à entamer une conversation convenue qui aurait eu le mérite de me mettre dans les meilleures dispositions, mais elle m’a montré au contraire la chaise sur laquelle je devais prendre place assez rapidement.

Un réflexe très humain est d’ajuster la chaise pour prendre possession d’un espace inconnu mais cette personne m’a repris assez vivement pour ne pas la déplacer ne serait-ce d’un ou deux centimètres. Les risques sanitaires liés au sars-cov2 sont invoqués.

Je me retrouve donc dans un état de relative soumission conditionné aux règles, au cadre flou mais strict mis en œuvre par cette thérapeute. A ce moment précis, je me positionne en résistance intérieure et commence à douter des qualités d’écoute, d’empathie et à vrai dire professionnelles de cette personne. Durant cette séance d’une heure, il m’est donc difficile de mettre de côté cet épisode initial, comme il m’est difficile d’entamer une relation de confiance dans un cadre autoritaire, strict imposé de la sorte.

Le client (je) est contraint, affecté, figé par ce cadre et le colloque que devrait mettre en place le thérapeute est compromis, voire impossible.

Il ne sort rien de bon de cette rencontre : l’écoute n’est pas présente puisque qu’elle me demande de préciser certaines informations à plusieurs reprises. Ma requête initiale n’est pas considérée, et à partir de là je ne « joue pas le jeu » de la séance.

Le principe de cadre est de permettre d’organiser l’espace de travail entre le praticien et son client. Cet espace comprend la présentation de la déontologie du praticien, éventuellement de la charte correspondante (FFMBE dans mon cas), la disponibilité du praticien en dehors des séances, les modalités financières.

Il est vraiment important de fixer un cadre lors d’une première séance car :

1 Cf. Dr C. Cungi, L’alliance thérapeutique, Retz – Dans cet ouvrage le psychiatre Charly Cungi développe les notions d’alliance, la méthode du petit vélo, la technique des 4R (Recontextualiser, Reformuler, Résumer, Renforcer), etc. dans le but d’accomplir les objectifs fixés entre le patient et le thérapeute.

  • Connaitre son cadre, c’est se reconnaitre libre : de s’y tenir ou d’en sortir et d’en assumer la responsabilité
  • Le cas échéant, c’est pouvoir constater que tel ou tel aspect de la demande, de l’attitude ou du comportement ne relève pas du travail de soins d’acupression

Dans les processus d’accompagnement et de soins où le patient devra se livrer sur les raisons de sa demande et participer à « l’interrogatoire », il est coutume de considérer que 5% du temps (généralement en début de séance) le praticien se mette en position haute (proposition du cadre) puis le reste du temps en position basse pour le questionnement et la pratique.

La position haute étant celle de celui qui montre, de celui qui sait, de celui qui donne des consignes, voire de celui qui informe sur le futur déroulé de la séance.

La position basse étant celle du praticien qui ne sait pas ou qui ne comprend pas, donc qui va poser les questions pertinentes afin de comprendre la demande, les troubles de son client.

D’une part le patient se trouvera rassuré par le cadre et la compétence du praticien dans un environnement qu’il ne maitrise pas forcément, d’autre part la liberté qui lui sera octroyée lors du questionnement le mettra à l’aise pour dévoiler certains troubles physiologiques de nature intime (par exemple les troubles d’ordre urologique, intestinal ou sexuel).

On pourrait cependant reprendre une réflexion de Milton Erickson2 « Le pouvoir que peut exercer une personne sur une autre se manifeste sur la possibilité que s’octroie la première de définir le contexte d’interaction de la seconde… » et se demander si ce pouvoir issu du cadre posé bride le patient. Je pense que la définition du contexte au contraire libère les protagonistes : quoi de plus normée, régulée qu’une partie de jeu d’échecs. Et pourtant nous constatons que les joueurs dans ce contexte-là ont une quasi-infinité de mouvements possibles, une liberté totale de mettre leur stratégie en place. C’est ce que nous devons proposer aux patients.

La situation 1 décrit donc une séance où le cadre n’est fait que d’interdits et non de permissions, étalé dans toute la durée de la séance avec un « clignotant rouge » susceptible de s’allumer à chaque instant dès lors que je tentais une intervention, une initiative non répertoriée par la praticienne. Ce fut une déception pour moi. Je n’ai ressenti aucun bienfait immédiat et différé, la thérapeute n’a pas eu de ma part la meilleure des collaborations possibles.

Situation n°2 : juin 2021, comment des émotions peuvent compromettre une séance.

Je me déplace chez un homme de 77 ans de mon entourage familial pour une séance de découverte de l’acupression avec malgré tout l’objectif de déterminer ensemble ses éventuels déséquilibres. Je sais par avance que cette personne a eu un cancer de la prostate et suit un traitement contre un diabète de type 2. De plus, elle est assez handicapée par de l’arthrose des membres inférieurs et du rachis cervical.

2 Milton Hyland Erickson (1901 – 1980) était un psychiatre et psychologue américain. Sa pratique innovante de l’hypnose, la richesse de sa démarche ainsi que les nombreuses personnes qu’il a su inspirer au cours de ses années d’enseignement et de pratique, fait que beaucoup le considèrent comme le meilleur hypnothérapeute de l’histoire.

Après un accueil simple et amical compte-tenu de notre proximité, je m’installe dans la pièce dédiée à la séance et déplie la table. C’est à ce moment précis que je ressens une crainte de la part de cet homme. Cette crainte évolue vers de l’anxiété car il me questionne sur les modalités de l’allongement sur la table, anticipant peut-être des difficultés à se positionner correctement sur celle-ci. Je perçois également un raidissement de son corps quand le moment arrive de se mettre d’abord sur le ventre pour le début de la manipulation.

Handicapé par une fluidité réduite de ses mouvements, l’homme prend peur soudainement et je le questionne sur la raison de cette peur. Il me révèle qu’il craint de tomber de la table [Ce questionnement a pour but de le faire verbaliser ce mal-être car les sentiments, les émotions que nous réprimons s’exprimerons défavorablement sous une forme corporelle (blocages, douleurs, épuisement…) ou sous forme comportementale (fuite, repli sur soi, agression, séduction). L’accès à l’expression des émotions dans ce cadre thérapeutique singulier est pour ma part à valoriser pour favoriser les bienfaits de la séance].

Le rassurant en me rapprochant de lui avec un contact physique et lui proposant une position plus favorable, il acquiesce sur la poursuite de la séance mais en étant allongé sur le dos. En prenant en charge ses émotions, il me confirme que son handicape le rend fébrile dans des positions peu communes et se sent rassuré que je prenne en compte ses difficultés sans lui en faire rigueur ni altérer la séance.

A ce stade, il convenait que j’endosse une posture d’homme bienveillant, professionnel de l’accompagnement afin d’éviter les phénomènes de transfert3 et contre-transfert.4 La séance fut complète mais avec des manipulations uniquement réalisées sur le dos.

Ce cas est intéressant car il ouvre plus généralement sur la difficulté de la prise en charge des émotions du patient dans un colloque patient-praticien. Nombreux troubles physiques trouvent leur racine dans des émotions mal gérées, persistantes et le praticien en médecine traditionnelle chinoise interroge à bon escient les fondements de ces troubles afin de poser un bilan différentiel de qualité. Le patient peut alors être amené à exprimer ses émotions, à les libérer en quelque sorte dans ce moment intime entre lui et son thérapeute. Dans le cas évoqué précédemment, c’est une posture inhabituelle qui génère une émotion particulière et que doit prendre en charge le praticien. Dans le cas contraire, la peur du patient, qui est une émotion d’anticipation, peut l’amener à délibérément interrompre la séance pour soulager ce mal-être, sa crainte et son inquiétude, sentiments en lien avec la peur.

3 Le transfert est une projection affective. C’est un phénomène qui a cours dès lors que nous sommes en relation avec quelqu’un et en direction duquel nous projetons une image ou un conflit inconscient.

4 Le contre-transfert désigne le sentiment conscient qu’éprouve le praticien au regard du vécu et du comportement du client. Le praticien réagit alors en résonnance par rapport à son histoire personnelle et cesse d’accompagner correctement son client.

Au praticien donc d’accueillir avec empathie les émotions du patient liées au récit personnel, professionnel toujours au sein d’un rapport collaboratif établi.

Un rapport collaboratif est une relation mise en œuvre entre un thérapeute/praticien et patient telle que le praticien et le patient travaillent ensemble de manière active pour répondre à la demande de celui-ci : Le patient s’implique et s’engage à poursuivre une cure de plusieurs séances si nécessaire, à suivre quelques conseils de diététique, à changer de posture de travail, etc. Le praticien a quant à lui une obligation de moyen et doit savoir instaurer, développer et maintenir séance après séance cette bonne relation. Elle est le préambule à une bonne prise en charge des émotions du patient qui peuvent ressurgir lors de l’entretien

Un rapport collaboratif se décompose comme suit :

  • Une relation empathique5, c’est comprendre le patient sans représentation propre, sans poser son propre regard, « c’est comprendre intimement l’univers particulier du client comme si c’était le sien propre, mais sans jamais oublier la restriction qu’implique le comme si ». Je comprends les émotions mais je ne suis pas affecté.
  • Une relation authentique, c’est être vraiment soi-même, se sentir à l’aise avec la réalité

du patient et sa propre réalité pendant la séance. Être authentique, c’est être vrai.

  • Une relation chaleureuse, c’est manifester de la chaleur humaine à l’animal grégaire que nous sommes. Le patient a besoin de se sentir accepté dans la relation. Être chaleureux, c’est à la base accepter le patient tel qu’il est, de manière positive :
  • Qualité d’accueil
    • Capacité de non-jugement
    • Respect inconditionnel à l’égard du patient et acceptation positive de celui-ci
    • Bienveillance

5 On peut trouver une notion étendue de l’empathie dans l’ouvrage « Pratique de la méditation » ed. ESF, de Jean-Louis Lascoux

  • La dimension professionnelle repose sur une légitimité (diplômes, certifications, clientèle), une identité professionnelle (style, identité visuelle, valeurs), les compétences et les capacités opérationnelles, la reconnaissance (par des pairs, des clients, des prescripteurs).

Quand ce rapport est installé, le praticien est d’autant plus à même d’accueillir les émotions de son patient, de les gérer. Pour revenir au cas évoqué précédemment, c’est la peur du patient que je devais gérer. La peur fait partie des quatre émotions de base que sont la joie, la tristesse, la colère6. Les connaitre et comprendre leurs expressions permet au praticien et plus généralement aux professionnels de l’accompagnement de traiter le plus grand nombre de situations7. Ainsi :

La joie fait rire ou sourire, ou courir, elle fait briller les yeux d’une certaine façon.

La peur fait frémir, contracte les muscles, pousser un cri, elle fait briller les yeux d’une autre façon.

La colère fait crier, taper, casser, faire du bruit, elle fait briller les yeux d’une troisième façon.

La tristesse fait pleurer, affaisse le visage, fait tomber les épaules, elle fait briller les yeux d’une quatrième façon.

Par nature, l’émotion est expression.

Il est donc utile de les reconnaitre, et fondamental pour un praticien, d’avoir appris à vivre en paix avec ses émotions.

Situation n°3 : début mai 2021 entre la troisième et la quatrième session, comment une demande non clairement formalisée peut entrainer une mauvaise prise en charge du client.

Je reçois par téléphone une demande de rendez-vous pour un homme nommé R.W. de 49 ans en séance à mon domicile. Je souhaite des informations complémentaires et les raisons de sa future visite mais la personne au bout du fil m’explique qu’elle est sa compagne et qu’elle souhaite offrir la séance à son compagnon sous forme de surprise, une séance découverte puisqu’ils ne connaissent pas l’acupression. Je reste plus que perplexe quant aux motivations réelles du client. Néanmoins durant cette phase d’apprentissage je ne recule pas devant cette opportunité et propose une date pour la séance de soins.

Arrivé à mon domicile, j’accueille R.W. et l’invite dans la pièce dédiée à ma pratique. Confortablement installé, j’ai la confirmation que cette séance est l’occasion de célébrer son anniversaire et qu’il est venu pour découvrir ma pratique, sans demande particulière. A ce stade, sa demande est une non-demande (la typologie des demandes sera étudiée plus bas), c’est-à-dire qu’il y a une absence de motivation personnelle réelle.

6 Il n’y a pas encore de consensus sur les émotions primaires, le psychologue Paul Ekman distingue 6 émotions fondamentales, les quatre évoquées plus la surprise et le dégoût.

7 Cf. Daniel Chernet, Coacher les émotions, Eyrolles, avril 2018 et S. Rusinek, Les Emotions, Du normal au pathologique, Dunod, 2004

La position de R.W. est : « L’acupression, oui, pourquoi pas, essayons voir. »

Les risques pour moi sont de chercher coûte que coûte une demande, jusqu’à créer une pseudo-demande pour pouvoir y répondre, ou d’entrer dans un dialogue stérile sur l’intérêt et la pertinence de l’acupression.

Je ne le fais pas car j’ai été formé aux fondamentaux et aux techniques d’entretien mais il est aisé de tomber dans les pièges évoqués. Dans ces cas, le client peut satisfaire aux questions du praticien et l’amener à une pratique inadaptée et non professionnelle, sinon établir une relation de défiance, de circonspection fondée sur un argumentaire « marketing » du praticien voulant à tout prix justifier la présence de son client, de sa propre présence et ainsi créer une vision purement utilitariste de l’acupression.

Je m’efforce de mettre en place un bon rapport avec R.W. et développe une écoute active, telle que définie par Carl Rogers.

Dans sa définition initiale de l’écoute active Carl Rogers propose un regard nouveau (l’écoute active) pour construire et régir les relations entre accompagnant et accompagné. L’écoute active est une technique de communication qui consiste à utiliser entre autres la reformulation8 afin de favoriser la bonne compréhension de son interlocuteur et lui démontrer que l’on a compris au mieux son message et ainsi éviter toute fausse interprétation.

Après avoir « explorer » sa sphère personnelle et professionnelle, R.W. a en autonomie admis endurer des fatigues chroniques et du stress le week-end qui gênent sa récupération autant psychique que physique, sans doute selon lui corrélés à des insomnies répétitives.

8 Pour plus de détails sur les techniques de reformulation, allez sur http://www.communicationbienveillante.eu/reformulation/

A l’issue de notre entretien, R.W. me demande de traiter ses insomnies.

Face à une non-demande, l’idéal est de ne pas justifier la séance ni son intérêt général, mais de questionner le client pour le recentrer sur lui-même et le mettre en contact avec ses besoins, et surtout « mettre l’essentiel au cœur de l’important ».

Cette séance a connu une issue plutôt positive quant à la problématique de la non-demande initiale. Mais le praticien et précisément l’acupresseur peut aussi être amener à composer avec d’autres demandes hétéroclites. Nous allons donc en examiner quelques types susceptibles d’être rencontrés par nos pairs.

  • La demande confuse : le patient rencontre des difficultés à exprimer une demande, ne finit pas ses phrases, va-et-vient, reste dans le flou, généralise… Les risques sont d’entrer dans la confusion du patient et s’y laisser porter, ou bien vouloir trouver une solution pour le patient. Que faire ? Canaliser l’expression du patient par des questions précises, amener systématiquement le patient à contextualiser.
  • La contre-demande : le patient a du mal à élaborer sa propre parole. Il est plutôt en réaction par rapport à la parole de l’autre, typique d’une personne en position de contre-dépendance : « oui mais », « non ce n’est pas tout à fait ça ». Sa dynamique est la peur, qui peut se cacher dans le silence ou la colère. Les risques sont que le praticien s’agace et glisse dans une posture de persécution, qu’il n’entend pas la peur cachée du patient. Que faire ? Faire preuve d’empathie et renvoyer une non-agression face à une agression.
  • L’anti-demande : demande contradictoire, typique d’une personne non-volontaire, qui souhaite l’échec de la démarche pour préserver son identité, car elle a été fortement incitée à consulter un thérapeute contre sa volonté ; la réussite de la séance serait perçue comme : j’ai tort (le patient) et c’est l’autre qui a raison. Le patient a tendance à imposer ses points de vue et demander implicitement ou explicitement au praticien de les approuver. Que faire ? Sortir de l’impasse de la dualité « Tort/Raison », confronter sur le fait que le praticien ne joue pas contre l’autre, ni à la place de l’autre, et en appeler à l’Adulte du patient.

Il existe certainement des exemples légèrement différents de ceux décrits mais l’essentiel des requêtes figurent parmi les typologies présentées.

L’acupresseur est donc exposé, par le format enseigné de la prise en charge en séance à un dialogue intime avec son patient et confronté à une forme d’altérité. Ces 3 expériences vécues montrent que le praticien acupresseur doit être prêt à accueillir son patient en posture d’écoute active et d’empathie, de le recevoir en tant que personne entière, qu’il doit être aussi au clair avec ses émotions afin de mieux accepter celles de son patient et enfin saisir parfaitement les déséquilibres pour une prise en charge optimale et obtenir de bons résultats après les séances. Les principes de traitement ne sont qu’une conséquence de ce travail dûment accompli.

Par ailleurs, j’ai la conviction que ces techniques d’accompagnement issues de nombreux travaux de psychologues anglo-saxons sont nécessaires mais pas suffisantes afin de pratiquer ce merveilleux métier qu’est l’acupression.

En effet l’acupression est une branche de la Médecine Traditionnelle Chinoise, elle-même élaborée sous le principe d’ordre qui régit le monde, l’homme et le cosmos, le Tao (Dao en chinois signifie « voie »). Ce concept profondément original, car à la fois très abstrait et très pratique, est au cœur de la mentalité chinoise depuis la plus haute Antiquité.

Durant ma formation en acupression et bases Qigong Tuina à Kendreka, ce concept a été abordé ainsi que la notion de Qi aussi importante que celle du Tao. Il en ressort une philosophie, une vision particulière du corps humain : le corps humain est un microcosme parfaitement identique au macrocosme universel, le corps humain communique avec l’extérieur (son environnement) et tend à trouver l’harmonie entre l’intérieur et l’extérieur. C’est un mouvement permanent.

Dans l’approche des patients, j’ai donc confronté les modes de pensées occidentaux et chinois. La vision occidentale repose sur un temps de diagnostic initial autour d’un problème, le fait de déterminer une solution idéale pour mettre ensuite en œuvre une démarche structurée et planifiée, reposant sur l’acquisition d’outils et de comportements optimaux pour atteindre l’objectif. La pensée chinoise, quant à elle fondée sur la continuité d’un mouvement, dans un monde contingent, complexe et en interconnexion choisit de soulager la physiologie de l’être, de l’harmoniser selon son essence antérieure et promouvoir une façon de vivre.

Dans ce même ordre d’idée, le philosophe et médecin français Georges Canguilhem, décédé en 1995, avait le souci d’expliquer que chaque corps a sa propre norme et a aussi une normativité, c’est-à-dire une capacité à restituer des normes lorsqu’elles ont été bousculées par la pathologie. Il avait aussi ce rêve que le médecin/thérapeute soigne non pas un organe, mais un sujet :

« La maladie n’est pas seulement déséquilibre ou dysharmonie, elle est aussi, et peut-être surtout, effort de la nature en l’homme pour obtenir un nouvel équilibre. La maladie est réaction généralisée à l’intention de guérison. L’organisme fait une maladie pour se guérir »

« Le Normal et le Pathologique », 1966 Ed. PUF

Je vois donc un intérêt à recourir à la pensée chinoise dans la prise en charge du patient au sein d’une séance d’acupression, dans la mesure où elle permet de sortir d’une vision linéaire et qu’elle laisse plus facilement que la pensée cartésienne la place au « bricolage », à la pensée « hors cadre », en fonction de ce qui arrive au fil des situations rencontrées. Pour qui connait tous les points d’acupression et leurs effets, les possibilités proposées sont quasi infinies afin de guérir ou soulager le patient.

Ainsi, permettez-moi d’illustrer cette intention en rapportant des propos de notre enseignant A.F., imprégné de cette philosophie, quand on lui demande quel traitement pour tel symptôme, tel syndrome, sa réponse n’est jamais univoque, elle est ponctuée de « …mais pas que ! ».

Savoir se démarquer de la prise en charge occidentale et favoriser une approche holiste, humaniste, et élaborer une vision chinoise, c’est ma conviction dans l’exercice de ma profession car c’est aussi ce que recherche le client. En effet, contrairement à l’approche occidentale qui donne parfois le sentiment que les patients ne sont considérés en tant que personnes souffrantes à part entière mais comme des porteurs d’organes à réparer, l’exercice de l’acupression donne la possibilité d’adopter un comportement globaliste. C’est l’individu qui est souffrant et non l’organe.

J’ai découvert lors de mon apprentissage que des patients ayant été soumis à des protocoles thérapeutiques lourds et pénibles en vue de soigner des cancers se tournent volontiers vers des thérapies dites « orientales » pour trouver une écoute différente et un accompagnement plus humain. Pour aller dans ce sens, des études relatent que les patients mettent en exergue les vertus que sont l’empathie, la chaleur humaine, le « fit » qu’ils ont eu avec le thérapeute, plus que le contenu lui-même.

Cet article a mis l’accent sur l’importance de la relation patient/thérapeute dans un cadre singulier qui est celui de l’énergétique chinoise et les conditions de sa réussite pour les deux parties. C’est une exigence qui répond à une obligation de moyen et que je me fais fort de respecter tout au long de ma pratique présente et future.

Laissons le dernier mot à Sun Si-miao (581 – 682), éminent médecin des Tang. En l’an 652, il publia Importantes prescriptions d’urgences valant mille onces d’or, ouvrage en trente volumes.

Il y dit parmi de nombreuses recommandations qu’il faut être consciencieux et responsable envers les patients et les traiter de manière égale, sans faire de discrimination. D’autre part, il mentionne que l’éthique médicale comprend aussi l’humilité envers ses pairs. Il avait horreur des méchants et des orgueilleux.

Remerciements

A mon enseignant Amaël Ferrando qui m’a transmis lors des sessions son enthousiasme, ses compétences, la philosophie chinoise et ses circonvolutions, et bien plus.

A ses collaborateurs et en particulier Sébastien, judicieux et perspicace lors de la pratique, et relais de nos interrogations de novices.

A mes compagnons de route qui ont testé et validé ma technique, mais pas seulement.

A mes proches que j’ai parfois délaissés les weekends à force de lectures et de révisions.

Merci d’avoir mon article de fin d’études ! Pour en savoir plus sur la formation en Acupression & Bases de Qigong Tuinaque j’ai suivie, n’hésitez pas à me contacter ou à suivre ce bouton pour découvrir cette formation.
Fabrice LEYS

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