Avec sa sensibilité de psychologue, Jenny nous livre sa réflexion autour des mots et du toucher.
Entre intime et universel, nous nous interrogeons autour de cette grande question de la parole dans le massage.
I – Remerciements
A Tina, qui m’a soutenu depuis deux ans,
Sans qui j’aurais eu beaucoup plus de difficultés à traverser les différents évènements de cette année, des évènements qui ont réactivé pas mal de vieux traumas.
Merci pour ta présence et ton soutien pendant ce travail sur le long court, qui m’a permis d’assembler, de clarifier, de mettre en sens plusieurs questionnements et compréhensions, qu’ils aient émergé pendant et hors de nos séances, et dont je fais part dans cet article.
A mes amis, qui ont été présent, qui m’ont écouté et accueilli pendant cette année d’apprentissages.
Aujourd’hui, c’est avec fierté que je vous propose un travail aussi intime, dans lequel je parle de ce qui me fait vibrer, de ma vérité toute personnelle avec la confiance que personne ne pourra remettre en questions mes perceptions et mes émotions, chose qui n’aurait pas été possible il n’y a pas si longtemps.
II – Résumé
Il s’agit ici d’un article s’appuyant sur mon histoire personnelle et les différentes compréhensions qui m’ont guidée le long de ce parcours autour du « comment prendre soin de l’autre » et « comment faire un soin à l’autre » ? C’est aujourd’hui avec des valeurs telles que la responsabilisation (autant de soi que de l’autre), la présence, l’écoute, l’amour que j’ai envie de développer ma pratique et ma sensibilité de masseuse bien que je sois consciente que cela va aussi s’inscrire dans le temps.
III – Introduction
III.1 Comment est-ce que j’en suis venue à parler du « mot » dans un article sur le toucher ?
Lorsque je me suis inscrite à cette formation sur le massage fondamental, je ne pensais vraiment pas qu’elle allait me ramener aux « mots ». J’y allais pour le corps. Le corps qui reçoit un massage, le corps qui perçoit différentes sensations, le corps qui est sensible à différentes formes de toucher. Je pensais au corps dans sa globalité mais aussi à ce qui touche littéralement un corps. Les mains. Les mains qui donnent un massage, qui parlent d’elles-mêmes au corps de l’autre, sans avoir besoin de « mots ». Les mains qui sentent, perçoivent, transmettent des signaux sans même que le conscient puisse comprendre ou mettre en « mot » ce qu’elles font. J’avais en effet choisi cette formation pour une raison consciente qui était de rétablir le lien cœur/cerveau, de faire un pont entre mon mental et mon corps. Et pour cela, j’espérais que cette formation réponde à mon désir d’éveiller mes perceptions et ma présence tout en apprenant de nouveaux outils.
Je me suis donc inscrite à cette formation et dès les premiers modules que j’ai effectué, au-delà de l’expérience vécue dans le corps, c’est l’expérience de communication de ce vécu qui m’a le plus bouleversée. Que ce soit de la place de celui qui a reçu le massage qui cherche les « mots » pour définir ses sensations que de la place de celui qui a massé et qui réceptionne ces « mots ».
Finalement, dans cette situation d’apprentissage, les rôles s’inversent. Après avoir reçu un massage, le massé doit donner un retour sur ce qu’il vient de vivre et le masseur qui vient de donner une certaine pratique doit recevoir le discours de celui-ci sur ce qu’il vient de donner. Le donneur devient receveur et inversement.
C’est de cette manière que j’ai pu toucher du doigt la complexité et l’amalgame qu’il pouvait y avoir entre la réactivité issue du style du toucher du masseur en formation et ce que ça peut réveiller de personnel chez celui qui reçoit. Chose qui s’est exprimé et s’est mélangé dans un discours très flou dans lequel j’ai été directement impliquée quand j’ai été face àune sensation d’inconfort extrême pendant que je me faisais masser. Mon corps était dans un état de tension très massive et que j’avais presque la sensation de me faire brutaliser. Les « mots » à ce moments-là étaient nécessaires pour que cette situation ne se reproduisent pas mais ils n’ont pas été suffisant pour apaiser la situation. Au contraire, ils ont générer une grande discorde au sein de ma relation avec la collègue en question. Ça a été un moment très délicat où j’avais à la fois peur de lui partager mes sensations et ne savais pas comment les exprimer tellement je venais de vivre quelque chose de violent. Et à la fois, j’avais conscience que c’était quelque chose qui m’appartenait, elle n’avait fait que le réveiller. Les « mots » que j’ai utilisé dans un premier temps avaient été minimisés et j’ai profité d’un moment de groupe pour mettre d’autres « mots » qui me semblaient plus représentatifs pour être soutenue par le groupe. Sauf que mes « mots » ont été perçus comme blessants et que chaque fois qu’on se retrouvait à travailler ensemble, j’étais responsable de dire des « mots » jugés pas adaptés, pas appropriés, …
C’est là que j’ai perçu toute l’ironie de la situation. J’étais celle qui représentait à travers mon diplôme et le métier de psychologue que j’ai choisi, un symbole de la parole juste ou d’un sens de la parole adaptée, soutenante et bienveillante. Et j’existais et agissais dans le groupe comme celle qui n’avait aucune de ces compétences. L’outil de la parole était ici responsable de détresse, de difficulté dans le lien et dans le rapport d’apprentissage. Cet outils même qui était celui qui m’avait attiré et qui avait orienté le choix de mes études était celui, qui, aujourd’hui était porteur de grandes difficultés pour moi.
Voici donc la raison pour laquelle je voudrais profiter de cet article pour me pencher plus particulièrement sur ce sujet autour du « mot » dans l’expérience très personnelle du toucher.
La parole est omniprésente pendant un massage finalement. Autant dans la manière de se présenter et d’exposer le besoin qui nous amène à consulter, autant dans la manière de parler ou de se taire pendant le massage et autant dans les retours à la fin pour partager notre expérience que dans les différentes questions du masseur tout au long de la séance de massage.
Pour cela, j’aborderai dans une première partie les questions relatives au sens des « mots », à la parole aidante comme moyen de toucher l’autre sans oublier de mentionner les limites et les biais que comportent la parole et la communication. Ensuite je traiterai dans une deuxième partie ce qui concerne le corps et comment celui-ci éprouve et communique. En conclusion, l’accent sera porté sur l’importance du lien à faire entre la parole/le mental/le cerveau et la sensation/ le corps/ l’émotion. De même, il sera rappelé que cette reconnexion peut se faire via le massage, d’autant plus quand il est fait avec présence et écoute, deux valeurs clés des formations en psychologie biodynamique.
III.2 Quelle est la définition que je donne au toucher et au « mot » ?:
Pour partir sur des bases communes et être d’accord sur les différents mots employés, je vais donner la définition avec laquelle j’ai travaillé en employant des termes tel que « le mot » et « le toucher ».
Pour commencer, lorsque je parle du « mot », j’entends le rapport à la parole, au langage comme code commun et partagé, au « mot » comme outils de sens dans la communication. Ici on parlera notamment de la communication avec un autre individu, dans cette inter-relation où une autre personne impliquée reçoit et inter(e)agit avec les « mots » qui lui sont adressés. Et cela implique un dialogue intérieur conscient et inconscient qui amène à faire un tri et à choisir des « mots » qui seront dit et d’autres qui seront tût. Le « mot » représente pour moi le conscient, le mental, le rapport au tri des informations qui viennent au cerveau. Les « mots » sont des choix qui tentent de représenter le plus fidèlement et justement possible ce que pensent un individu tout en sachant que c’est quasi de l’ordre de l’impossible de saisir et de traduire avec des « mots » la complexité des pensées, notamment quand on sait que plus de 6000 pensées sont créées de manière quotidienne. (cf J.Tseng et J. Poppenk, 2020). Les mots représentent le moyen incomplet et imparfait de communiquer entre nous, une tentative de décrire des choses parfois imperceptibles ou d’illustrer une pensée qui ne peut pas se nommer. Ils sont un reflet déformé de ce que la personne pense mais ne définissent en rien la personne qui les dit. Les « mots » ne peuvent donc pas dire la pensée telle qu’elle. Cela prend en compte le système nerveux central et renvoie des informations qui peuvent produire une réponse motrice de la bouche, de la langue et des cordes vocales pour qu’elles expriment un son qui a du sens. Il s’agit d’un mouvement qui va de l’intérieur vers l’extérieur. Le « mot » est une forme d’expressivité de l’être.
Pour ce qui est du toucher, selon la définition de T. Fields (cf Le sens du toucher), il concerne toutes les « stimulations de la peau par des stimuli thermique, mécanique, chimique ou électrique. Tous ces stimuli suscitent dans la peau des modifications d’où proviennent les sensations connu comme la pression, la chaleur, la vibration. » Le toucher, ici, se rapportera à tout ce qui concerne le rapport du toucher entre individu. Je ne parlerai donc pas du toucher entre un individu et un objet ou du toucher autocentré (lorsqu’on se touche) mais uniquement du toucher qui implique qu’une personne fasse la démarche de toucher une autre et que cette dernière reçoive ce toucher et tout ce que ça génère. Nous partirons du principe que ce toucher est consensuel et accepté à l’avance par la personne qui reçoit. Cependant, même lors d’un toucher consenti, il peut réveiller des souvenirs d’abus engrammés dans le corps et générant des sensations très désagréables. Le fait de toucher est aussi un mouvement qui va de l’intérieur vers l’extérieur puisqu’il est commandé par le système nerveux central et met en mouvement les muscles moteurs périphériques. Le toucher, par la mise en mouvement du corps est aussi une forme d’expressivité.
IV. Le toucher par la parole
IV.1 Qu’est-ce que les « mots » disent ou ne peuvent pas dire?
Je me suis particulièrement intéressée au sujet de la parole parce qu’il m’accompagne officiellement depuis mes études en psychologie au cours desquelles j’ai pu donner libre court au sens du « mot », à l’analyse de sa présence et à la recherche de son histoire, stimulée par tout ce qui peut se cacher d’inconscient derrière des « mots » jetés comme ça par hasard, fascinée par la puissance d’un « mot », pouvant être vécu comme salvateur ou bien blessant, subjuguée par la complexité du langage.
Ces cinq années d’études ont mis au travail mon cerveau et m’ont appris à mettre en mouvement ma capacité à ordonner les idées, à canaliser et à cadrer une machine à penser qui tournait à plein régime sans but, avant d’arriver à la fac. J’avais surdéveloppé mon rapport à la pensée, donnant toute la place au mental dans une sorte d’hyper-intellectualisation comme mécanisme de défense. Mettre des « mots » pour me comprendre, agencer des « mots » pour me faire comprendre. Trouver le « mot » juste qui définirait parfaitement ce que je ressentais était déjà en moi bien avant que j’aille à la fac mais je le faisais de manière anarchique, sans savoir comment faire, et j’ai vu, à l’époque, la fac de psychologie comme un moyen de m’aider à poser des « mots » sur mes propres maux. J’ai cru de manière très naïve et assez orgueilleuse que j’arriverai seule, en suivant des cours à la fac, à résoudre les différents conflits psychiques qui m’agitaient et que ça me servirait de thérapie sans avoir à faire les frais d’une véritable thérapie. Cela n’a pas été une grande réussite et n’est pas réellement envisageable en soi parce qu’il s’agit plus d’un fantasme que d’une réalité atteignable.
Toujours est-il que j’ai décidé deux ans après avoir eu mon diplôme de commencer un travail thérapeutique personnel suite à un premier contrat en tant que psychologue en Guyane. Celui-ci m’a beaucoup bousculé et m’a fait prendre conscience de l’absence de socle interne solide sur lequel m’appuyer pour exercer. La base de ce que j’avais appris à la fac ne suffisait pas à être psychologue, il me manquait des racines solides, un ancrage interne. D’autant plus que ce fameux emploi de psychologue se trouvait dans une structure accueillant des sourds et malentendants. Ce qui de prime abord, pourrait faire rire quand on définit le métier du psychologue autour de l’outil principal qu’est la parole. J’étais donc dépossédée de l’outil roi sur lequel j’avais été formée. Me voilà donc face à ma première expérience assez traumatique où le « mot » ne suffisait plus, où la parole comme je l’entendais était incompréhensible, où la communication ne se faisait plus à travers des codes oraux et verbaux que je connaissais mais à travers le corps, à travers les mains. Ce n’était plus la bouche qui parlait chez les patients sourds ou malentendants que j’avais en face de moi mais leur corps qui bougeait dans une danse de sens, qui pouvait parfois presque se comprendre sans connaître la langue des signes tellement c’était « parlant ». C’est d’ailleurs comme ça que les premiers formateurs de langue des signes que j’ai rencontré m’incitaient à faire, en mimant tout simplement. Sauf que j’ai vite remarqué qu’utiliser son corps pour parler n’est pas si naturel et instinctif que ça pour moi. Autant certains de mes collègues étaient vite à l’aise, autant de mon côté, je galérais et restais encore bloquée dans une intellectualisation qui m’empêchait d’être dans le « faire ». Au lieu de lâcher prise là-dessus, je me suis enfermée dans « mon monde » sans pouvoir trouver les moyens ni l’énergie de traverser les portes vers cet autre monde. J’ai réalisé à ce moment-là que c’était moi qui étais handicapée, incapable de m’adapter à de nouvelles formes de relation et de communication. J’ai réalisé à ce moment-là la frontière que les « mots » ne pouvait pas franchir et par la même occasion leur impuissance, alors que je les avais érigé en dieux. Après leur avoir donné une forme de toute puissance, je déchantais une première fois à ce niveau-là. J’en ai saisis l’opportunité de remettre en question ma pratique. Là, il me manquait quelque chose de fondamental. Et j’avais en outre compris la force du corps comme moyen de communication. Je suis donc allé le chercher dans le massage par la suite.
Ce n’est qu’un an plus tard que j’ai pris la décision de me lancer dans des formations de massages, constatant que cet aspect (rapport au corps, toucher,…) était cruellement manquant pour moi, autant dans mes études que dans mon propre corps. Et le rapport au « mot » est revenu me heurter de plein fouet lors de plusieurs modules de cette formation au cours desquels des « mots » ont provoqués de grands bousculements émotionnels, des « mots » qui ont cherché à dire, des « mots » qui sont tombés à côté et qui ont blessés, des « mots » qui ne pouvaient se dire. Et c’est de manière assez violente que j’ai vécu dans cette formation une sorte de psychodrame dans lequel se vivait et se réactivait des croyances et des traumas plus anciens. Et là encore, j’ai déchanté, malgré mes tentatives de mettre des « mots », celles-ci étaient refusées et mal vécues.
Les « mots » peuvent donc dire beaucoup mais le discours conscient et entendable n’est pas forcément celui qui aurait besoin d’être dit. L’inconscient peut faire passer des messages par les « mots » (parfois involontaires lors des lapsus) ou bien par leur absence/oubli (Freud, 1919). Des « mots » peuvent être investis d’un contenu émotionnel mais mettre des « mots » sur des émotions est déjà une forme de rationalisation et de mentalisation de celles-ci.
IV.2 Qu’est-ce que la communication sous-entend ?
Je ne peux parler du « mot » sans parler de celui qui le dit à partir de son propre système de représentation/valeur/croyance et de celui qui l’écoute, qui reçoit le « mot », qui l’intègre et le perçoit selon son propre système de représentation/valeur/de croyance, tout cela dans un contexte donné et selon un type de relation entre ces deux personnes (Jakobson, 1960).
La communication implique au minimum deux personnes, l’une qui délivre un message selon des codes et l’autre qui le reçoit et le décode, en étant conscient qu’un certain nombre de bruit peut perturber le message. C’est ainsi que la communication a été schématisée dans les années cinquante, par Shannon et Weaver, tous les deux issus du monde de l’informatique. Le message se transmet majoritairement via les « mots » qui sont échangés mais on peut aussi prendre en compte le langage non verbal (postural, comportemental, corporel) comme messages annexes à ceux transmis via le langage, qui peuvent notamment être plus inconscients et moins contrôlés. On peut ainsi remarquer que dans le massage, le message envoyé se fait généralement sans le « mot » et par le corps. Ces deux idées rejoignent le modèle des chercheurs de Palo Alto qui considère 4 éléments clés à la communication :
– la communication n’est pas uniquement verbale, le comportement, la posture,
le corps rentre en jeux,
– la communication n’est pas toujours intentionnelle et consciente,
– la communication est une activité sociale permanente et les êtres humains sont des êtres sociaux qui ont besoin de communiquer,
– la communication implique un feedback et la manière dont l’interlocuteur réagit montre comment le message a été intégré.
La communication sous-entend donc une relation entre les deux interlocuteurs. Bien que la personne qui parle soit responsable des « mots » qu’elle choisit de dire et de ceux qu’elle préfère taire, la personne qui reçoit le message est, elle, responsable de la manière dont elle le perçoit et ne peut rendre l’autre responsable des effets que provoque chez elle le message énoncé même si celui-ci peut rentrer en résonance particulière avec son histoire, ses croyances, son système de valeur… Cependant, de nombreux conflits apparaissent dans la communication par cause d’incompréhension. Une méthode intéressante pour faciliter la communication lors d’incompréhension peut être de demander à l’autre de répéter ce qu’il a compris du message formulé pour avoir une idée des distorsions.
IV.3 Comment la parole peut-elle être aidante ?
Faire sa formation à la fac garantie un diplôme reconnu par l’état mais l’accent est plus mis sur la théorie que sur la pratique. Cinq années à exercer mon mental, à retenir, à comprendre, à analyser, à interpréter, à faire des liens, à avoir des références solides de modèles de la psyché humaine. A la fac de psychologie, les « mots » sont utilisés comme dans tous les domaines d’apprentissages pour divulguer un savoir mais ils sont aussi la pierre angulaire de la pratique pour laquelle les étudiants sont formés. Et bien que l’on ait des cours d’épistémologie pour comprendre le sens des « mots », on n’est peu mis en condition d’analyser l’impact que nos « mots » ont sur les autres et quels types de « mots » ont des impacts sur nous. La fac est un endroit de savoir et de connaissance mais pas d’implication personnelle, ni de travail sur sa relation à soi et à l’autre. Et bien que la parole soit l’outil de travail de chaque psychologue, c’est à chacun d’entre eux de le faire sien. Cela tout en sachant que des études ont montré que c’est la qualité de la relation entre un thérapeute et son patient qui est garante de l’amélioration de l’état du patient et de la décristallisation de certains schémas souffrants. Et la relation passe avant tout par la parole, la justesse des « mots » utilisés, leur résonance, mais aussi par l’intonation, la posture, l’engagement, le sentiment de sécurité qui se dégagent de l’espace dans lequel la parole du patient sera accueillie. Et un thérapeute rentre en relation avec son patient avec autant son bagage professionnel et les différents outils d’analyse et de pratique avec lesquels il est à l’aise que son bagage personnel parce qu’il donne de lui dans cette rencontre entre deux êtres humains. Le thérapeute est son propre outils de travail. Selon Gerda Boyesen, « le thérapeute doit simplement offrir un acceptation et un amour total afin que le stimulus intérieur puisse se développer complètement et transformer l’être du patient. » Elle utilise les mêmes notions que celles de la Gestalt thérapie abordé dans « Le toucher d’amour ».
Et le rôle du thérapeute est aussi de guider l’autre à poser ses propres « mots », à se réapproprier le récit de son histoire, à donner son propre sens aux évènements ou traumas vécus en les racontant. Les « mots » utilisés pour se raconter sont très révélateurs et c’est justement parce qu’ils ne sont pas tout le temps contrôlés par le conscient que l’inconscient peut s’exprimer. Que ce soit à travers un champ lexical récurrent, des lapsus, des oublis, comme le dit Freud dans son introduction à la psychanalyse. L’absence du « mot » veut elle aussi dire quelque chose bien qu’on ne sache pas cela à l’avance, c’est le travail entre le patient et le thérapeute qui permet d’en approcher progressivement les raisons. Et le « mot » est au centre, en tant que passeur (comme un pont) entre le symptôme et le sens de celui-ci, entre le corps et le mental, entre l’inconscient et le conscient, entre l’interne et l’externe, entre le thérapeute et le patient…
V. Le toucher par les mains et le corps comme moyen d’éprouver
V.1 Qu’est-ce que les mains disent et ne disent pas ?
Les mains parlent un tout autre langage que les « mots », elles parlent le langages des perceptions et des sensations. Les mains transmettent de la chaleur, de l’énergie, et peuvent réciter la chorégraphie de plusieurs techniques apprises. Elles pourront toucher tantôt un muscle, tantôt contacter un os, tantôt chercher à suivre la circulation ou à rythmer avec la pulsation de la lymphe, tantôt étendre en douceur les tissus conjonctifs plus superficiels… Les mains parlent le langage du corps puisqu’elles font parties intégrantes de ce corps. Autant le « mot » a besoin de la coordination entre le cerveau et la langue et les cordes vocales donc le corps pour être dit, autant la main peut se mouvoir avec un simple impulse nerveux de manière autant autonome que contrôlée par le mental.
Les mains ne mentent pas, elles ne peuvent pas dire le contraire de ce qu’elles sentent. Elles peuvent être détendues, crispées, stressées, douces, saccadées dans leur mouvement, elles parlent d’autant plus de l’état dans lequel est le masseur. Elles transmettent au corps du massé des informations, qui peuvent l’aider à se sentir mieux ou au contraire créer de la tension dans son corps. On ne peut pas contrôler la manière dont les mains vont impacter le massé et malgré les meilleures intentions envoyées pendant un massage, ou la sensation de faire au plus près de ce qui est demandé, rien n’assure qu’un toucher soit bien accueilli. Dans le sens de la communication, les mains communiquent avec le corps de l’autre et communiquent aussi avec le masseur. Elles transmettent autant d’information à celui qui reçoit qu’à celui qui donne.
Les mains s’adressent directement au corps de l’autre, le touchent dans le sens le plus matériel du terme parce qu’elles le touchent comme de la matière vivante qui rentre en contact avec une autre matière vivante. Et en ça, les deux corps sont connectés dans un sens assez primitif, peau contre peau, comme le bébé qui vient de naître et qui est porté contre la peau de ses parents. Chose qui est essentielle pour le développement de l’identité structurale du bébé. Et c’est ce qui est recherché dans le massage, de réveiller la conscience corporelle du corps dans son entier, aussi pour éveiller des endroits qui sont peu stimulés, peu touchés en règle générale et leur rappeler qu’ils existent, qu’ils sont indispensables pour former un tout.
Les mains transmettent aussi au masseur des informations, à travers la sensibilité de celui-ci, il pourra capter des indications précieuses concernant une tension à un endroit, un changement de température, la pulsation du cœur à certains endroits mais aussi des informations plus fines et impalpables, plus énergétiques…
Les mains disent des choses qu’il est difficile de qualifier avec des « mots ». Je l’ai compris pendant les modules de formation. Elles parlent ou réveillent des endroits que l’on estimait pas, elles convoquent le rapport à la manière dont on a été touché ou pas touché. Elles peuvent rappeler un toucher dont on a souffert, elle peuvent ressembler à un toucher dont on a manqué, à quelque chose qu’on ne connaît pas et qu’on découvre avec curiosité. En étant en étroite relation avec le corps de l’autre, le massage peut libérer des tensions, refaire circuler l’énergie et aussi réveiller des émotions qui peuvent se décharger de plusieurs manières, la réaction du massé peut être multiple. Il peut y avoir des décharges corporelles émotionnelles comme le fait de pleurer, de rire, de bailler, d’être parcourus de spasme, de dormir, … mais aussi des décharges relationnelles comme le fait de ressentir des émotions pour le masseur qui peuvent être agréables ou désagréables.
Cependant, de la même manière que les « mots », les mains ne sont pas toutes puissantes. Elles ne peuvent pas influer au-delà de ce que le massé ou corps du massé peut recevoir. Et c’est précisément dans cette posture que se positionne la biodynamique. Elle considère le corps comme un organisme intelligent et responsable qui sait ce dont il a besoin et de quelle manière il s’autorise à être impacté. Cela permet aussi de remettre en perspective la posture du masseur ou ne n’importe quel thérapeute qui propose un moyen d’aller mieux dans lequel il ne faut pas oublier que c’est au patient que revient le choix de prendre ou pas ce qui est proposé. Le but du masseur est de rendre son autonomie au patient en lui rappelant que c’est lui qui a le pouvoir. L’apprentissage de technique a été rassurant pour moi, c’est quelque chose qui m’a donné la sensation d’être professionnelle, m’a donné une certaine légitimité et confiance en moi malgré mes insécurités premières autour de l’absence menaçante de protocole. J’ai compris qu’on ne peut contrôler comment le corps du massé réagit, quelque soit la manière dont on pense appliquer une technique, quelque que soit l’effet visé. Aujourd’hui, ce qui est rassurant pour moi, c’est de me dire que c’est le corps du massé qui décide ce qu’il prend ou non, ce qu’il peut digérer ou non.
V.2 Comment les mains peuvent-elles être aidantes ?
Il existe de nombreuses méthodes qui utilisent le corps pour accéder à des états de tranquillité mentale. Le massage n’en est qu’une parmi tant d’autres. On retrouve ainsi la méditation, les exercices de respiration (comme la cohérence cardiaque, la respiration de feu,…), les sports dans leur globalité qui peuvent être autant utilisés pour calmer le mental, que pour reprendre conscience de son corps, que pour décharger d’excès d’énergie…
Les mains, à travers le massage, aident à un niveau purement musculaire parce qu’elles détendent, étirent, mobilisent les articulations et à un niveau plus symbolique et énergétique parce qu’elles contiennent, bercent, vivifient. Elles peuvent avoir l’intention de soutenir, accueillir, sécuriser la personne qui est en face. J’ai toujours été baignée dans le massage et je touche instinctivement depuis toute petite, dans le but de soulager, de consoler, d’être présente à l’autre, notamment à ma mère. Je me suis définie comme objet de soulagement pendant longtemps et me suis construite autour de ce fonctionnement du prendre soin de l’autre parce que le besoin de ma mère était particulièrement présent et pressant. Je reconnais aujourd’hui le syndrome du sauveur dans cette élan que j’ai eu quand j’étais enfant et qui est resté longtemps chez moi. Et j’ai appris récemment que c’est issu de la pulsion thérapeutique du bébé que décrit C. Dolto. Cependant, j’ai compris aussi les limites de cette posture parce qu’un sauveur n’aime pas et n’aide pas, il se sacrifie. Il cherche à prendre la souffrance de l’autre, le déresponsabilise de ses ressentis et se croit tout puissant. Le triangle de Karpman en est une belle illustration et montre l’alternance des postures de soumission/domination par déresponsabilisation et culpabilisation entre la victime, le bourreau et le sauveur dans ce genre de relation.
V.3 Comment les émotions parlent ?
Les émotions s’expriment à travers des ressentis, et les ressentis sont dans le corps : un ventre tendu, une oppression au diaphragme, des nausées, des migraines,… On a bien sûr des « mots » à disposition pour décrire les émotions comme la joie, la peur, la colère, la honte,… Et des gradients dans les émotions où on peut être dans un état où l’émotion est légère ou bien massive et débordante. Si on prend l’exemple de la colère, il peut y a avoir du plus léger au plus fort : l’indifférence, la lassitude, l’agacement, l’énervement, la rage.
Le corps est le réceptacle à longueur de journées de sensations incontrôlables, d’émotions qui passent et s’en vont. Une émotion peut se définir comme « un mouvement affectif soudain et intense, entraînant un débordement temporaire du contrôle réflexif sous l’effet d’une stimulation du milieu. » Elle comporte à la fois une expérience subjective, une expérience communicative et expressive, des modifications neurovégétatives et endocriniennes. (cf dictionnaire de la psychiatrie)
Une émotion cherche à faire passer un message, à dire qu’un besoin est ou n’est pas satisfait. Elle peut chercher à avertir, à prévenir d’un danger, comme la peur et provoque des mouvements réflexes de fuite ou d’attaque. Elle peut prévenir que les limites personnelles ont été dépassées quand il s’agit de la colère. Dans ces deux cas, c’est le système nerveux sympathique qui est actionné. Une émotion peut aussi envoyer des signaux de détente et de relâchement et c’est ici le système nerveux parasympathique qui est activé. Cela peut avoir pour conséquence de lancer la digestion (l’action de l’intestin grêle) par exemple.
Comment réceptionner/accueillir les émotions quand elles font surface ?
Le massage peut être un endroit de reviviscence d’émotions fortes, de pleurs, de grandes fatigues post massage, d’investissement inconscient… Il peut être indiqué, dans les cas de gros débordements émotionnels, de faire des polarisations afin de calmer les spasmes et d’aider l’intégration et la digestion des émotions réveillées. Le massage aidant la reconnexion entre le corps et l’inconscient, les émotions encapsulées peuvent émerger à ce moment-là.
VI. Conclusion
Comment réconcilier cerveau et corps dans le massage ? La présence dans le toucher ou le toucher énergétique
Comme j’ai pu en parler dans l’introduction, cette formation est venue me bousculer à plusieurs niveaux, et j’ai pu y contacté :
– mon besoin de validation, de réassurance par manque de confiance en moi et en mes capacités,
– ma difficulté à me faire corriger et à oser corriger l’autre alors même qu’on était tous en situation d’apprentissage et que cet échange est un merveilleux moyen de progresser et de prendre conscience de ce que notre toucher peut générer chez l’autre,
– ma difficulté à trouver les mots justes quand j’étais face à des ressentis désagréables,
– l’angoisse d’être rejetée et exclue de la formation si mon toucher n’était pas bon,
– mon rapport au contrôle et à la difficulté à lâcher prise et à juste sentir et ressentir,
– ma dissociation avec mes sensations pour me protéger de la peur et de l’angoisse, surtout de mal faire face à une anxiété de performance très présente.
Que ce soit dans le rapport à la relation à l’autre et au défi de la communication que dans les déclenchements dans le corps. Chacun des modules a été le théâtre de douleurs ou d’inconforts corporels que j’ai toujours essayé de comprendre en terme de messages qui n’avaient pu se dire avec les « mots » et qui avaient patienté dans le corps jusqu’à ce que ce dernier ne tienne plus. Je ne peux pas m’empêcher de faire le lien avec ce que les maux disent à travers des maladies. Les théories psychosomatiques font justement appel à ce qui a du mal à se dire et qui se traduit dans le corps comme dernier recours pour traiter l’émotion qui n’a pas pu être digéré. « Les émotions inexprimées ne meurent jamais, elles sont enterrés vivantes et sortent plus tard de la pire façon. » (S. Freud). Les maux disent ce que les « mots » n’ont pas pu dire.
Et parmi les différents maux avec lesquels j’ai traversé la formation se retrouvent :
Une tendinite au bras gauche arrivée dans un moment où j’arrivais pas à m’autoriser à ne pas masser alors que j’avais réalisé que j’avais le besoin inconscient d’être touchée, contenue, rassurée en venant à cette formation.
Il y a eu un gros rhume qui m’a empêché de masser et d’être massé, qui a eu la conséquence de m’isoler du reste du groupe, chose où je rejouais peut être inconsciemment la blessure de rejet vis à vis des collègues qui avaient manifesté la volonté de ne pas travailler avec moi.
Des douleurs aux jambes dans un moment où je ne savais plus où aller, si j’étais sur le bon chemin ou pas, peur de passer le cap, de franchir cette brèche qui me sépare du monde de la faculté et des diplômes reconnus et le monde des écoles alternatives, qui marquent un tournant pour moi et ma carrière professionnelle.
Des douleurs nerveuses au dos, au dernier module, symbole de la difficile reconnexion du coeur et du corps dans ma conscience, que le passage que se frayent les sensations va être long encore à parcourir, que ce n’est que le début. Besoin de prendre soin de soi, d’écouter ses limites, de refaire travailler ensemble cœur et cerveau. J’ai pris conscience cette année de mes capacités dissociatives, qui m’ont beaucoup aidée pendant un temps, mettant à distance des émotions douloureuses. J’essaie aujourd’hui de les accepter, de les accueillir, de les laisser vivre avant de les laisser partir au lieu de les encapsuler au fond de mon corps.
Selon Onno van der Hart, créateur de la théorie de la dissociation structurelle, l’être humain est composé de deux systèmes de personnalités (un orienté vers la survie et qui cherche à provoquer des stimuli agréables, l’autre vers la défense et qui se met en action face à la menace ou à des situations dangereuses) qui fonctionnent ensemble de manière cohérente mais peuvent se séparer de manière normale dans différents contextes (fatigue, sous substances…) et de manière plus permanente quand la séparation a lieu comme moyen de défense face à un traumatisme. Dans les deux cas, la dissociation peut affecter la perception, la manière de faire face aux émotions jusqu’à perturber l’identité. Ce qui est aussi intéressant à relever, c’est que lors d’un trauma, la dissociation fait apparaître deux parties, l’une apparemment normale (PAN) qui fait comme si tout allait bien et qui met à distance tout ce qui pourrait rappeler le trauma, l’autre qui est la partie émotionnelle (PE) qui garde la charge émotionnelle du trauma ancrée dans le moment et on peut imaginer qu’elle s’ancre aussi dans le corps, même si ça n’est pas visible de prime abord.
Et le massage peut être un merveilleux outil pour faire émerger des charges émotionnelles, ce que G. Boyesen a pu expérimenter au cours de ses longues années de pratique et qu’elle exprime en disant : « pour moi, la théorie avec Raknes m’avait donné les forces fondamentales : ouverture du cœur, tolérance, compréhension, ce qui me permettait de laisser apparaître les expressions corporelles des émotions et c’est là la différence avec la psychanalyse, seulement verbale. » Elle insiste par la même occasion sur l’importance de ne pas avoir d’objectif, de savoir se laisser guider par son cœur, son corps, ses mains, ses émotions et ne plus donner toute la puissance au mental qui cherche à comprendre et à analyser. Ces valeurs qui sont le fondement de sa pratique le sont aussi dans le massage fondamental où l’on retrouve les qualités de présence, de disponibilité, d’écoute avant l’accumulation de techniques. Comme le disait Jean Dion « l’écoute reste la grande oubliée de notre société moderne en pleine révolution des communications», et c’est une des raisons pour laquelle les espaces de massages doivent être les garants de cette écoute et de cette considération de l’autre en tant qu’autre être humain. Une des autres raisons est que le toucher est fondamental, c’est un besoin de tout être humain. Et cela parce que le bébé est confronté au toucher dès sa conception. Le cocon de l’utérus le masse déjà pendant toute la période de la grossesse et le massage lors des contractions de l’utérus à la naissance va avoir une action assez directe sur ses poumons et les pousser à se dilater pour être prêt à accueillir l’oxygène (cf la peau et le toucher, A. Montaigu). Ensuite, c’est le toucher des premiers soins et l’importance du moi-peau qui a été mis en évidence pour aider le bébé à garder une certaine chaleur parce que celui-ci ne régule pas encore bien sa température corporelle lors des premiers mois de vie. Ce peau à peau sera aussi essentiel pour la conscience de soi en tant qu’être séparé de l’autre. Bien que né à terme, le bébé reste prématuré après neuf mois de grossesse, il est dépendant de l’autre pour être nourris, dépendant de l’affection et de la chaleur qui lui sera donné pour se développer. Lorsqu’il avance en âge, c’est en touchant le monde extérieur qu’il apprend et qu’il prend conscience du pouvoir qu’il peut avoir sur le monde extérieur. C’est ainsi que tout le courant de l’haptonomie, basée sur l’affectivité et l’idée de pouvoir guérir par le toucher est né, et ce dès les moments intra-utérin.
Le toucher est donc primordial et essentiel dans le développement de l’enfant de même que la relation avec ses personnes ressources. Par exemple, les cours de massage Tuina des enfants insistent sur l’importance de masser son bébé chaque jour. Dans le massage, le rapport à la relation est tout aussi essentiel. De nombreuses études ont démontré le pouvoir de la relation de confiance, de l’alliance thérapeutique dans la transformation, le changement et la résolution de certains conflits psychiques en comparant l’efficacité de plusieurs types de thérapies. De même, en comparant des groupes qui se sont fait masser par des kinésithérapeutes, des ostéopathes, des masseurs issus d’écoles alternatives ou par des personnes lambda sans techniques qui massent à l’intuition, les résultats étaient similaires dans les trois groupes. Ce qui va encore une fois dans le sens où la qualité de présence prime sur la quantité de techniques apprises. Bien que cela puisse avoir quelque chose de rassurant et de légitimant d’avoir une boite à outils de technique, j’ai compris que cela n’était pas suffisant. On en vient à la théorie du rien faire, de l’apprentissage de la lenteur, de se défaire de la technicité de la pratique pour en revenir à l’essence d’être, d’être pleinement avec l’autre. Et le rien faire est à l’opposé du faire rien. Entre conscience et lâcher prise, j’ai compris que l’accompagnant, le masseur doit apprendre à développer la confiance en ses mains et à ne pas avoir peur d’être face au vide, à l’absence de mouvement. Bien que cela puisse être angoissant, la lecture de l’ouvrage de G. Libouban m’a beaucoup rassurée dans l’idée que le processus pour développer sa sensibilité est long et issu d’un travail engagé et impliqué, que ce n’est pas de la magie ou du talent. Ce n’est que les heures de pratiques qui peuvent au fur et à mesure nous permettre d’affiner nos sens. Et elle rejoint G. Boyesen et les principes de responsabilisation du patient de la psychologie biodynamique lorsqu’elle dit « j’ai développé mon art au fil du temps. Je n’ai pas de pouvoir, ni de guérir, ni d’avoir l’ascendant sur l’autre. » Elle rappelle ainsi que le massage n’est pas magique et que le masseur n’est pas tout puissant, que celui qui reçoit le massage est aussi acteur. Le patient n’est pas patient dans le sens où il n’est pas là pour attendre que la transformation se fasse, bien qu’il faille qu’il soit patient parce que personne ne sait quand elle pourra se manifester. De même pour le masseur, être patient est une qualité à cultiver.
Enfin, travailler sur le corps fait poser des questions autour de son cadre interne et des limites à poser, parce que le masseur a accès à des zones qui sont peu exposées et peu touchées en dehors de la sphère privée. C’est pour cela que des précautions doivent être prises et qu’il est important de poser des questions en amont afin de pousser chaque personne à respecter ses limites, à dire non, à apprécier favorablement ou non le toucher qui lui est donné. Le masseur doit toujours laisser l’espace de dire stop et laisser aussi la priorité et la légitimité aux ressentis du corps qui reçoit le toucher parce que la personne massée est la seule à savoir ce que ça lui procure. La parole redevient ici essentielle comme canal entre notre corps et nous-même mais aussi entre soi et l’autre. Le but étant d’éveiller l’autre à ses ressentis. Les paroles échangées et questions posées avant, pendant et après massage sont garantes de ces espaces de respect, de confiance, de sécurité et d’écoute de soi.
VII. Annexes
VII.1 Annexe 1 : Synthèses des observations des massages
J’ai remarqué que toutes les personnes que j’ai massé et qui ont eu des douleurs ou des sensibilités désagréables pendant le massage ne me l’ont pas fait remarqué sur le moment mais ont pu le verbaliser dans la phase d’entretien post-massage. Ça m’a beaucoup questionné au début, d’autant que je pose des questions pendant le massage pour vérifier que tout va bien. Bien que j’ai pu percevoir que des zones étaient tendues chez certaines personnes et que j’ai remarqué des mimiques ou des mains qui se crispent, j’ai pas pu le deviner chez toutes. Ensuite, ça m’a rappelé que moi non plus, je ne suis pas à l’aise avec l’idée de partager ce genre de contenu pendant que je me fais masser et c’est un réel apprentissage que de s’autoriser à le dire. J’ai envie de rester vigilante par rapport à ça et de laisser l’espace pour accueillir des appréciations négatives.
Une autre chose qui m’a marqué, c’est le retour autour du fait de rester conscient pendant le massage. Souvent l’attente inconsciente est de déconnecter avec le mental, de « voyager » et c’est perçu comme une réussite si le massé s’endort pendant le massage. D’ailleurs, j’ai fait le choix de ne pas proposer de musique pendant mes massages et c’est un regret pour certains. Il m’a fallu faire face à ces déceptions que mon massage ne colle pas aux idées préconçues et j’ai remarqué que ça me poussait à vouloir quand même répondre à cette attente, notamment pour faire plaisir, pour plaire et je pense que je dois encore travailler à ce détachement autour de la manière dont est reçu le massage. Généralement, ce sont des personnes dans le contrôle, dans un jugement permanent (de soi, de l’autre), dans une hyper-mentalisation qui ont cette demande parfois formulées, parfois pas et elles cherchent peut-être un endroit où le praticien détiendrait le pouvoir de couper les liens aux pensées. Ça me remet d’autant plus dans le challenge de rendre la responsabilité à l’autre, d’accueillir son besoin sans chercher à y répondre. Cela va aussi de pair avec le style de toucher et le rythme apprécié par ces personnes. Généralement, elles vont apprécier les touchers doux, contenant, lent et sont très exigeantes concernant la qualité de présence et la sensation qu’on ait pris soin d’elles. Lorsque mon toucher est plus rapide, il est perçu comme plus brusque et activant. Moi-même ayant vécu ce genre de sensation en tant que personne massée, je suis hyperconsciente de l’importance de cette intention du prendre soin. Bien que je sois aussi consciente que mon toucher ne pourra pas plaire à tout le monde non plus, quelque soient les plus belles intentions que j’y mette. Cela me pousse aussi à rester vigilante à mon rythme qui peut s’intensifier et s’accélérer quand je suis plus dans « le faire » que dans « l’être ». C’est pourquoi je cherche à prendre plus de temps et à rentrer moi aussi dans un état presque méditatif pendant la prise de contact qui prend de plus en plus de temps dans mes massages. Ce sont généralement des temps très appréciés, même si les personnes ne sont pas habituées, certainement parce que le temps est laissé au corps de se poser/ « déposer » sur la table. Encore une fois, ce sont des personnes dans le contrôle et généralement assez angoissées qui auraient aimées que je les prévienne avant certaines mobilisations ou certains gestes (notamment autour des seins) afin de les aider à anticiper. Elles accompagnent aussi mes gestes en ayant du mal à se laisser faire dans le mouvement que je propose. Ça me paraît intéressant de les laisser vivre l’expérience de ne pas savoir mais j’ai décidé de prévenir à minima quand je pose leur main sur leur sacrum pour vérifier qu’il n’ont pas mal dans l’épaule après ce mouvement. A contrario, j’ai un peu de mal à leur demander de prendre des inspirations avec moi, de peur justement de les couper dans leurs sensations mais je m’autorise de plus en plus à le faire. J’ai remarqué que j’avais tendance à respirer fort et beaucoup de personnes m’ont fait remarquer qu’elles se calaient dessus et que ça les aidait.
Enfin, ça m’est arrivé à plusieurs reprises qu’une fois que la personne est installée sur la table, elle se souvient de quelque chose dont j’avais posé la question pendant le petit entretien préliminaire, et il arrive tout aussi fréquemment que j’oublie de le noter. Pour l’instant, je ne sais pas encore comment me saisir de la fiche de suivi bien que je trouve l’outil très intéressant pour garder une trace des propositions faites et de l’évolution chez la personne.
VII.2 Annexe 2 : Présentation massage fondamental
On appelle ce massage fondamental parce qu’il s’adresse au fondement du vivant et demande une connaissance du fonctionnement du corps (anatomique, physiologique, organique) afin d’avoir une précision dans le toucher qui vise à encourager le respiration cellulaire et la ré-harmonisation des tissus entre eux, d’y apporter souplesse et élasticité et un bien-être généralisé. Il a plus des visées relaxantes afin de favoriser l’intégration, le recharge, la régulation, l’évacuation mais peut aussi avoir une action plus énergisante.
C’est un massage au cours duquel toutes les parties du corps sont contactées afin de les éveiller et de leur donner l’occasion de se nourrir, de prendre ce dont elles ont besoin.
Le massage fondamental utilise des techniques diverses issus de plusieurs types de courant (autant inspiré des massages suédois, thaï, californien, shiatsu,…) mais le cœur de ce massage se trouve dans la biodynamique, théorie qui considère le corps comme un organisme intelligent et responsable qui sait ce dont il a besoin et ce dont il est prêt à recevoir. Le masseur étant là pour se laisser porter vers là où le corps demande. Ce n’est pas un massage protocolaire d’où l’idée d’un petit entretien avant le massage pour laisser émerger le ou les besoins. C’est un massage où des questions peuvent être posées afin de laisser le massé prendre conscience de son corps et de choisir le type de toucher qui lui correspond le mieux.
VIII. Bibliographie
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Boyesen, G. (1985, 2014). Entre psyché et Soma : introduction à la psychologie biodynamique. Suisse. Lausanne : Petite Biblio Payot Psychologie
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