Quels sont les liens entre le féminisme et la tradition Taoïste ? Qu’est-ce que les enseignements traditionnels ont à nous apprendre sur la façon dont les valeurs féminines, Yin, sont véhiculées dans la société ? Le Taoïsme est-il un féminisme ?
Baigné de nombreuses années dans des enseignements traditionnels, notamment la culture taoïste, Amaël Ferrando nous offre un autre regard sur ces questions de société, laissant émerger la façon dont les antiques traditions chinoises valorisaient le Yin.
Quand on aborde l’étude des sagesses chinoises, et particulièrement des sagesses traditionnelles qui proviennent du taoïsme, il y a un aspect qui revient en permanence c’est la valorisation des attitudes Yin.
Le Yin c’est la polarité qui est dans le taoïsme représentative de la réceptivité, une forme de passivité mais qui est une passivité active néanmoins, ce qu’on appelle le non-agir par exemple.
C’est l’attitude de la terre qui accueille tous les climats du ciel, c’est l’attitude d’une vallée qui accueille toute l’eau du ciel. Et cette attitude là elle est extrêmement valorisée. Et historiquement cette attitude elle est aussi associée au féminin et à la femme dans la société. C’est du coup une discussion que j’ai pu avoir avec différentes personnes :
Est-ce que le taoïsme c’est une forme de féminisme ?
Est-ce que le féminisme c’est une forme de taoïsme ?
Et là-dessus je pense qu’il y a des points communs et en même temps il y a une vraie différence. Le point commun c’est la valorisation de la figure féminine, et c’est dans le taoïsme une valorisation qui est symbolique et hyper importante.
Il y a un proverbe traditionnel, qui se retrouve aussi dans le bouddhisme chinois et qui dit :
« Un maître vaut 10 pères,
et une mère vaut 10 maîtres. »
Dans la plupart des textes classiques taoïstes et notamment dans le Tao Te King, dont j’ai eu le courage de faire une traduction ces dernières années (qui est sortie l’an dernier) le Yin est quasiment toujours l’attitude qui est valorisée.
Par exemple dans le Tao Te King ça dit d’être la vallée du monde, ça dit que l’océan surmonte les fleuves et les vallées parce qu’il les reçoit tous en lui, ça dit que l’eau, c’est l’emblème du Yin, c’est la valeur suprême d’une certaine façon, c’est la plus grande bonté, et cetera.
Par exemple il y a cette phrase :
« Shang Shan Ruo Shui »
Qui veut dire
« la bonté suprême est comme l’eau ».
Et puis le texte explique qu’elle accueille tout en son sein, qu’elle coule toujours vers le bas, qu’elle se place toujours en-dessous des autres, etc.
Donc cette attitude qui est associée au féminin, c’est l’attitude qui est la plus valorisée dans le taoïsme. Est-ce que c’est une forme de féminisme ?
Oui dans le sens où ça conduit à valoriser le féminin, et non dans le sens où souvent le féminisme tel qu’il est promu en Occident est plutôt une valorisation de la femme comme pouvant rentrer dans le modèle masculin.
Dans notre société il y a des valeurs qui sont très tournées sur le masculin, et par exemple tout ce que je viens de décrire, si on est dans une entreprise, c’est très rare que ce soit valorisé. Même dans une famille, on dit généralement que la personne qui travaille, c’est bien, il fait quelque chose. Celui qui passe son temps à méditer, contempler, il est pas du tout valorisé pour ce qu’il fait. Et souvent dans le féminisme il y a plutôt l’idée de se dire que les femmes peuvent aller aussi loin dans les qualités Yang, dans les qualités d’activité, d’émissivité, de masculinité que les hommes. Et moi je le pense que les femmes elles peuvent aller aussi loin, mais est-ce que c’est souhaitable ?
Est-ce que par exemple si Marine Le Pen devient présidente c’est une victoire du féminisme ? D’un côté oui, puisque c’est une femme qui devient présidente, et d’un autre côté elle ne porte pas forcément des valeurs d’accueil de chacun.
Du coup cela peut poser vraiment une question sur la nature du féminisme et la façon dont c’est abordé. Donc il me semble que le taoïsme va plutôt promouvoir l’attitude yin, l’attitude féminine, en soi-même et dans la relation au monde, que ce soit chez un homme ou une femme ; et le féminisme va plutôt promouvoir la place de la femme dans la société, avec ce paradoxe qui est que comme notre société est construite principalement sur des valeurs masculines, ça peut amener à promouvoir la masculinisation du féminin. Ça c’est un paradoxe un peu abyssal.
Le Qigong tuina, la pratique de soin que j’enseigne, qui est une pratique de soin manuel classique chinoise, c’est une pratique qui porte beaucoup ces valeurs yin, ces valeurs du féminin. Par exemple il y a des méthodes de soin où on peut rester sur un point pendant longtemps, peut-être une demi-heure, une heure, sans bouger, juste à ressentir et accueillir les ressentis, voir comment cela peut être transformateur.
Et ça c’est un vrai challenge pour tout le monde, que ce soit homme ou femme, parce que notre société ne nous prépare pas à ça, et on est habitués plutôt à construire, à produire… et là ça demande juste de la réceptivité.
Donc c’est un apprentissage, le Qigong tuina, qui nous amène à développer cette nature yin. Est-ce qu’on peut dire que le Qigong tuina c’est une voie féministe ? Je ne sais pas. Oui dans le sens où hommes et femmes la pratiquent, mais ce n’est pas explicitement féministe.
En tout cas c’est une voie féminine, ça c’est certain.
