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Vers un dispositif de psychothérapie holistique : Acupression chinoise & enseignements de Laozi

Psychothérapie Somatique Intégrative et Psycho-Acupression
Par Joanic Masson
Ceci est mon article de fin d’étude suite à ma formation en Acupression (MTC) en ligne. Pour en savoir plus, vous pouvez me contacter ou suivre ce bouton pour découvrir cette formation.

Sommaire

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Présentation

Cet article de fin d’études nous offre un aperçu de l’intégration de l’acupression chinoise à une pratique clinique de la psychothérapie.
Comment intégrer les enseignements de Lao Zi, la compréhension du corps et la psychothérapie holistique ?
Ainsi émerge la Psychothérapie Somatique Intégrative…[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_column_text]

Introduction

« De là vient que Sheng Ren pour gouverner, vide le cœur des hommes, remplit leur ventre, affaiblit leur ambition et fortifie leurs os. En permanence il fait en sorte que le peuple n’ait pas de savoir et de désir. Il fait en sorte que ceux qui savent n’osent pas agir. Il agit par le non-agir, alors il n’y a rien qui ne puisse être gouverné. »      

Laozi, Dao De Jing (Strom, 2004, 3)

Enseignant chercheur en psychologie clinique à l’université de Picardie Jules à Amiens, mes travaux portent pour l’essentiel sur les dispositifs thérapeutiques. Au cours de ces vingt années écoulées, je constate un perpétuel retour historique au sein de mes réflexions, comme un retour à l’essentiel, un retour aux bases, peut-être même un retour à l’évidence.

Le premier flashback a été de revenir à la source des psychothérapies, tout du moins sur un plan historique, à la mère de la psychanalyse, l’hypnose. Explorer la question de l’hypnose interroge la question de la conscience, des états modifiés de celle-ci, mais aussi la nature même des relations humaines au travers de ce que l’on nomme la « relation hypnotique ». Le second retour en arrière m’a propulsé à l’origine de tout dispositif de soin, à l’origine également des religions selon les anthropologues, le chamanisme. L’initiation chamanique au tambour s’est étalée sur près de cinq années et a déstabilisé ma conception de la réalité. Le monde est bien plus vaste qu’il n’y parait. Le monde subtil (la réalité non ordinaire) peut être exploré ; ses « habitants » (les esprits alliés) peuvent être rencontrés et même sollicités pour nous apporter des enseignements ou de l’aide… Le dernier retour aux sources traditionnelles m’a conduit enfin vers le taoïsme et le Qi Gong, art interne que je pratique depuis plus de dix ans assidument. Moment particulièrement riche sur un plan significatif fut ma participation il y a quelques années à une initiation au Fu Zhou avec Maître Liujun Jian, cérémonie chamanique taoïste, qui me permit de relier mon initiation chamanique avec le Qigong.

L’exploration de ces pratiques traditionnelles m’a surtout amené à considérer que tout avait déjà été dit et écrit. Les ouvrages publiés aujourd’hui ne font que bien trop souvent reprendre, avec parfois malheureusement des oublis ou complexifications, ce que nos ancêtres connaissaient déjà. Aussi, un retour aux textes traditionnelles m’apparait comme une évidence pour interroger la question du chemin spirituel mais aussi explorer celui des dispositifs thérapeutiques. C’est dans cette optique que je débute chaque année un de mes enseignements auprès des cinquièmes années de psychologie lorsque je traite une thématique qui m’est chère : l’importance du travail corporel en psychothérapie. Tout mon propos que je développe ensuite sur trois journées de cours se résume au travers de cette belle citation de Laozi écrite au début de l’introduction de cet écrit. Je reviendrai sur cette citation plus largement par la suite.

L’objet de ce mémoire concentre en quelque sorte l’essence de mes connaissances dans les dispositifs psychothérapeutiques, l’intérêt d’y ajouter l’acupression chinoise en particulier pour aider le corps à se réguler, tout en invitant régulièrement Laozi pour alimenter mon propos. Le Dao de Jing apparait comme une source inépuisable de pensées, réflexions qui peuvent nous guider vers le « chemin du milieu » et nous montrer la voie à suivre pour se réaliser et se soigner.

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Vers une approche holistique de la psychothérapie

« Là où Je était, Ça doit advenir. »

(François Roustang, psychanalyste, philosophe).

  1. Considérations générales

J’aspire à rester un éternel apprenti…

C’est dans cette logique que je ne cesse d’apprendre et de me former. Dans le cadre de mon activité de psychologue, plusieurs formations ont alimenté ma pratique afin de m’adapter au mieux aux problématiques de mes patients : hypnothérapie, EMDR, thérapie brainspotting, psychothérapie somatique intégrative, approches psycho-corporelles, Reconnective healing, etc. Ces formations m’ont amené à considérer divers points :

  1. Lorsqu’une personne est confrontée à une situation particulièrement douloureuse et se trouve dans l’incapacité de faire face, ses mécanismes instinctifs de régulation peuvent être entravés, le bloquant dans un état de figement et/ou de dysrégulation dont il ne parvient pas à se sortir.
  1. L’expérience traumatique est un bouleversement somatique avant d’être un fait psychique.
  1. Les souvenirs traumatiques, quelques soient leur intensité et leur fréquence, altèrent le fonctionnement identitaire du sujet et sont à la base de la construction de la personnalité et de nombreux troubles psychiques, émotionnels, psychosomatiques et possiblement somatiques.
  1. Chacun cherche continuellement à éviter de se reconnecter à ces souvenirs, qui sont plus ou moins conscients, et à ressentir la souffrance liée à ces derniers. Ces mécanismes de résistances sont psychiques, émotionnels et somatiques.
  1. La lutte perpétuelle contre la part de soi traumatisée bloque toute possibilité d’assimilation et entretient la souffrance. Généralement, toutes les stratégies mises en place pour ne plus souffrir entretiennent le figement, la dysrégulation et la traumatisation.
  1. L’information dysfonctionnelle est encodée sur différents niveaux : psychique, émotionnel, somatique. Il est possible d’envisager également, au regard des pratiques traditionnelles, que cet encodage puisse être énergétique (exemple : médecine traditionnelle chinoise) et spirituelle (exemple : chamanisme).
  1. Dans des conditions particulières, les capacités naturelles (instinctives) d’assimilation et de régulation peuvent être sollicitées et favoriser un retour vers une homéostasie (ou allostasie) et une cohérence psychologique et somatique.
  1. Le lâcher-prise, que l’on pourrait envisager comme une pratique de pleine conscience focalisée, apparaît comme un levier propice à cet équilibre dans la mesure où il est facilité dans un espace sécurisé et où le patient est invité à focaliser son attention sur l’information dysfonctionnelle (souvenir, souffrance, émotions et sensations).
  1. Le corps, au travers de l’émotion et de la sensation, apparaît comme un médium fiable. S’en remettre à lui, de façon minutieuse, dans une attitude de pleine conscience focalisée, l’aider à réguler via des stratégies pensées et adaptées, et se donner du temps, constituent les bases d’une travail psychothérapique somatique efficace.
  1. La verbalisation facilite le processus thérapeutique (engagement social) mais ne constitue pas en soi une condition essentielle à la prise en charge.
  1. Le lâcher-prise est un processus possiblement universel à même d’être observé au sein d’autres dispositifs thérapeutiques occidentaux et traditionnels.
  1. Vers une théorisation et une « pratique pensée » du lâcher-prise

 

La notion de lâcher-prise est devenue courante dans les articles et livres destinés au grand public au point où les chercheurs tendent à ne pas s’intéresser à cette dynamique qui apparait comme reliée au courant « new age » ou à de la pseudo-psychologie. D’ailleurs, il nous a été difficile de publier autour de cette notion avant 2015 (Masson, Bernoussi & Regourd-Laiseau, 2016) puisque les reviewers ont toujours manifesté un certain mépris envers ce concept « fourre-tout » qu’ils considèrent comme sans intérêt ou trop relié à l’hypnose.

En effet, nous retrouvons fréquemment dans la littérature le lâcher-prise comme une notion clé reliée à la pratique de l’hypnose. D’ailleurs, Godin (1992, p. 155) tente de la définir au sein de son livre qui traite du vocabulaire propre à l’hypnose : « L’hypnose consiste à oublier provisoirement la réalité extérieure. Dans la mesure où nous sommes habitués à être vigilants, il s’agit bien d’un lâcher-prise… Le lâcher-prise est un processus personnel vis-à-vis de nos propres mécanismes. Toutefois, dans une certaine mesure, le lâcher-prise se fait au profit de l’opérateur dans une certaine relation de confiance, puisque les mots prononcés par ce dernier deviennent les seuls stimuli externes ».

J’ai proposé de définir (Masson, 2002a) le  lâcher-prise comme un fonctionnement psychique dissociatif où le sujet devient capable de s’abandonner, grâce à une diminution de son activité consciente, à une expérience (corporelle,  émotionnelle et imaginative). Cet abandon fait place ensuite à une réorganisation spontanée du fonctionnement psychique qui devient susceptible de s’organiser sous une forme difficile dans l’état habituel de vigilance (aspect psychothérapique).

Le lâcher-prise semble permettre une réorganisation spontanée (« perlaboration spontanée ») comme le suggérait Chertok (1979) à propos de l’hypnose. Brosseau (2012) envisage de son côté l’activation d’une « conscience efficiente » en transe hypnotique propice à un réaménagement chez le sujet. Shapiro (2001) pose l’hypothèse d’un « système de traitement adaptatif de l’information » activé grâce aux stimulations bilatérales alternées. Grand suggère une « activation neurologique » rattachée à un positionnement oculaire. Levine (2014) et Selvam (2015), de leur côté, considèrent un retour aux processus instinctifs comme gage d’une résolution thérapeutique. Quelque soit le nom donné ou les orientations des auteurs, nous constatons un point commun à ce processus, à savoir « laisser les choses se faire d’elle-même ». Roustang (2006) propose d’en faire le moins possible avec les patients afin justement de leur donner la possibilité de s’ouvrir à tout ce qui peut être possible et favoriser un changement. « Attendre, ne rien faire, laisser venir » constitue la consigne de base de ce qui rendrait la psychothérapie efficace selon cet auteur.

Mais si il suffisait de ne rien faire pour que quelque chose ne se fasse, quel serait le rôle du thérapeute ? Je pense que le thérapeute rend justement possible les conditions de ce « ne rien faire ». Plus précisément, son rôle serait de mettre le consultant dans les conditions propices afin que la réorganisation thérapeutique en vue d’une cohérence recherchée et à venir soit possible.

 

  1. Diverses formes de lâcher-prise avec divers effets possibles

Le lâcher-prise peut se pratiquer sur deux niveaux avec différents effets escomptés : (1) « Fonctionner en roue libre » ou (2) lâcher-prise et se reconnecter à une activation.

  1. 1. « Fonctionner en roue libre »

« Fonctionner en roue libre » consiste à envisager l’aspect thérapeutique propre du lâcher-prise (LP). Lâcher-prise serait en soi thérapeutique. Chertok (1990), en son temps, envisageait déjà cette idée en distinguant deux formes d’hypnothérapie : la thérapie sous hypnose, où diverses approches thérapeutiques étaient utilisées en hypnose (analytiques, cognitivo-comportementales, etc.), et la thérapie par hypnose (« hypnose sèche ») qui considérait la transe hypnotique comme thérapeutique en soi. Le lâcher-prise pourrait donc dans cette optique être recherchée. Pour cela, nous pouvons envisager diverses procédures :

  • Être en hypnose, soit seul (auto-hypnose), soit avec un thérapeute (hétérohypnose). Dans la première possibilité, l’autre est plus ou moins fantasmé alors qu’en hypnothérapie, l’autre est présent. La relation thérapeutique joue un rôle structurant et contenant propice à une réorganisation du rapport à l’autre où le patient se laisse transformer par une relation particulièrement fusionnelle (Masson, Bernoussi & Chambon, 2012).
  • « Ne rien faire » : Brosseau (2005) invite les patients à se rendre le plus passif possible, à renoncer à tout contrôle de ce qui se joue en soi afin de donner libre cours à tout ce qui est possible. Partant du constat clinique que le patient entretient ses symptômes en cherchant justement à les contrôler ou à les faire taire, inciter à ne rien faire constitue une approche paradoxale où le lâcher-prise apparaît en filigrane. Voici retranscrit un exemple de début de script proposé au sujet (ibid., p. 123) : « À partir de maintenant, je vous demande de ne rien faire… Ne rien faire, cela signifie que vous n’avez même pas à m’écouter… Une partie de vous va demeurer à l’écoute de ce que j’ai à vous dire et cela est amplement suffisant… Vous avez le loisir d’aller vous promener intérieurement où vous le désirez… Sentez vous libre de toute contrainte… Vous ne faites rien. Vous n’avez aucun effort à faire pour vous détendre… Vous ne dépensez aucune énergie à tenter de vous relaxer. Vous ne faites rien… Les économies d’énergie à ne pas vous détendre, à ne pas vous relaxer, s’accumulent en vous et vous pourrez les utiliser à votre guise… Si vous ressentez actuellement un quelconque malaise, une irritation, une tension dans une partie de votre corps, un mal de tête, une nausée ou quoi que ce soit… Vous ne faites rien d’autre que de les identifier… de reconnaître leur présence… Mais vous ne faîtes rien pour les diminuer, les éliminer… Encore une fois, vous ne faites rien… Vous ne faites aucun effort pour vous détendre… Vous ne dépensez aucune énergie à tenter de vous relaxer. Vous ne faites rien… »
  • La méditation (Masson, 2002b) : Je retrouve dans la pratique méditative plus que millénaire ce même lâcher-prise. Satyananda (1988), à titre d’exemple, décrit ce processus dans la pratique du yoga nidra : « L’essentiel dans le yoga nidra (et dans le yoga en général) est d’accroître la prise de conscience et la perception de l’être profond. Toutes les intuitions, toutes les images qui surgissent, doivent être regardées avec détachement ; il ne doit pas y avoir d’analyse… En affinant sa lucidité, on passe en revue les composantes du mental en tant que témoin détaché ; on opère de nouvelles découvertes, mais sans s’impliquer, car implication signifie régression ».
  • La danse et la transe : Depuis tous temps et dans toutes cultures, la danse joue un rôle important que ce soit à titre festif, religieux ou spirituel. La transe est souvent présente ou recherchée dans la danse pour le plaisir ou à des fins spécifiques. À titre d’exemple, la recherche de la transe est très fréquente chez les jeunes en discothèque qui usent parfois de substances psycho-actives pour la favoriser. Dans certaines pratiques rituelles, la danse facilite le contact avec les « mondes invisibles » et prend une place essentielle au sein de pratiques sacrées (Masson, Bernoussi & Chambon, 2012). Comme je le montrerai au sein de ma troisième partie, l’intention et le cadre rituel jouent ici un rôle déterminant.
  • L’usage de plantes ou de substances psychoactives : De nombreuses études recensées par Chambon (2007) montrent l’intérêt thérapeutique des substances hallucinogènes (Kétamine, LSD, MDMA, psilocybine, ayahuasca, iboga, etc.) en psychothérapie (psychothérapie assistée par les substances psychédéliques, PAP) et dans la prise en charge des toxicomanes. Toutefois, les recherches à ce sujet sont rares en raison de la loi de 1970 qui empêche toute étude relative aux substances dites illicites. Précisons que les recherches effectuées, aux États-Unis en particulier, montrent que certaines de ces substances n’induisent aucune dépendance et ne sont pas neurotoxiques dans la mesure où les prises respectent certaines règles. La prise de psychédélique favorise un lâcher-prise puissant, susceptible de favoriser l’accès à des matériaux inconscients inaccessibles autrement (thérapie psycholytique). Je pense que ce type de protocole pourrait être intéressant, pris dans un cadre médical strict et sécurisé, auprès de sujets très résistants aux approches classiques.

Ces exemples d’approche favorisent plus ou moins un lâcher-prise (LP). Toutefois, « fonctionner en roue libre », bien qu’intéressant, n’est pas à même de favoriser le plus souvent une assimilation de souvenirs traumatiques. En effet, le consultant a généralement tendance, en raison des mécanismes adaptatifs de résistance (MAR) à éviter les réseaux de souvenirs dysfonctionnels. Travailler en LP sans prendre en compte à la fois les mémoires traumatiques et les MAR ne permet pas souvent un travail approfondi.

  1. 2. Lâcher-prise tout en se reconnectant à une activation

Il s’agit ici d’utiliser le potentiel mobilisateur et thérapeutique du lâcher-prise en vue de traiter une problématique précise chez le patient. Pour cela, après avoir déterminé ce qui doit être travaillé en consultation (émotion douloureuse, angoisse, situation problématique, spasticité musculaire psychogène, souvenir traumatique ou désagréable, etc.), il est proposé d’une manière générale de focaliser l’attention sur l’activation somatique liée et de favoriser un lâcher-prise. Il existe pour cela de nombreuses manières de procéder et je développerai dans la dernière partie de ce mémoire l’usage de l’acupression. Il existe bien entendu d’autres approches psychothérapiques susceptibles d’user de ces mêmes processus. Selon les psychothérapies, la manière de solliciter le LP diverge, la prise en compte des MAR est plus ou moins systématisée et du coup l’assimilation des réseaux dysfonctionnels plus ou moins complets. Selon également là où le consultant se situe dans son parcours de vie, sa capacité à travailler et à élaborer certaines problématiques varie.

  1. Le pilier et le levier

Le pilier représente la souffrance du patient. La souffrance se doit d’être suffisamment importante pour motiver un changement et ce qu’il implique, à savoir parfois des choix décisifs et douloureux, des renoncements ou simplement affronter ce qui fait mal en soi. La souffrance est un pilier du dispositif thérapeutique en ce sens qu’il motive la rencontre avec le thérapeute mais surtout qu’il doit être ce sur quoi nous appuyer en consultation. Autant « fonctionner en roue libre » ne permet pas toujours un travail en profondeur, autant partir de la souffrance psychique oriente les processus thérapeutiques vers la résolution de celle-ci. Aussi, en consultation, il est important dans le cadre d’une prise en charge de souvenirs plus ou moins douloureux de consacrer un temps suffisant pour aborder la problématique en profondeur, en déterminer les spécificités, et favoriser une activation suffisante.

Il s’agit de déterminer ce sur quoi on travaille, quelles sont les attentes de la séance, repérer la problématique actuelle et les souvenirs dysfonctionnels du passé en possible lien avec la problématique. Ensuite, l’« émotion de base » est à déterminer, c’est-à-dire l’émotion fondamentale rattachée au souvenir cible à traiter. Généralement, diverses émotions émergent suite à l’évocation des souvenirs douloureux. Certaines d’entre elles peuvent être envisagées comme des MAR, des moyens pour lutter contre l’émotion de base et éviter de la ressentir :

  • Exemple 1 : Dans le cadre d’une problématique de deuil, la colère est très souvent présente mais elle est un moyen de lutter contre la profonde tristesse liée à la perte. Aussi, travailler en psychothérapie à partir de la colère ne permettra pas le plus souvent de traiter la tristesse dans toute sa complexité.
  • Exemple 2 : La prise en charge d’une personne ayant subi une agression physique peut manifester de la colère, de la tristesse, de la culpabilité, voire de la honte alors que fondamentalement, l’émotion de base est la peur (émotion primaire) et l’impuissance (émotion sensori-motrice). La colère témoigne d’un début de faire face qui n’a pu aboutir. La tristesse signe la souffrance morale de ne pas avoir pu faire-face et l’atteinte narcissique. La culpabilité et la honte sont une réaction au sentiment d’impuissance. Partir des émotions autres que la peur et le sentiment d’impuissance risque de ne pas permettre un traitement approfondi du réseau dysfonctionnel qui est fondamentalement rattaché à la peur et à l’impuissance.

Le ressenti émotionnel est à relier aux zones du corps activées. L’émotion est toujours un mouvement du corps, une réaction de celui-ci mais aussi un ensemble de résistances (MAR) à celui-ci. Par exemple, la peur se vit souvent « dans les tripes » ; le corps tend à se contracter, à se replier sur lui-même, à réduire sa respiration pour contrer la terreur ressentie (MAR). Ces activations constituent le pilier, ce sur quoi le consultant focalisera son attention afin de favoriser une connexion au réseau de souvenirs traumatiques. Une réelle rencontre avec soi-même n’est possible que via les émotions et le corps qui nous relient à ce que nous sommes fondamentalement, des animaux socialisés doués d’une mécanique physiologique sophistiquée qui nous permet autant que possible de faire-face aux contingences de l’environnement.

Il semble fondamental de déterminer au mieux l’émotion de base qui doit servir de fil directeur lors de la séance de lâcher-prise thérapeutique, repérer les mécanismes adaptatifs de résistance en jeu pour ne pas entretenir une isolation et un évitement et travailler dessus (par la pédagogie, les échanges verbaux, le toucher, le mouvement, etc.). De plus, au cours de la consultation, lorsque le patient ressent un bien-être semblant évoquer une assimilation du dit souvenir, ramener le sujet à focaliser son attention sur celui-ci et l’émotion de départ permet de réactiver de nouveaux réseaux à traiter. Repérer avec le consultant les moindres activations dans le corps, même les plus subtiles, est nécessaire afin d’aller toujours plus loin dans le traitement de ce qui demande à être intégré. Enfin, lorsqu’aucune activation n’est perçue, « presser le citron » (Grand, 2013), c’est-à-dire inciter à volontairement faire tout son possible pour ressentir l’émotion de base, permet de toucher de nouvelles informations jusqu’alors isolées et pouvant participer au déséquilibre psychosomatique du sujet. Toujours aller plus loin afin d’agir toujours plus profondément est une règle importante pour prétendre à un traitement approfondi.

Dès le moment où le patient focalise son attention sur l’activation (émotion de base, sensation dysphorique dans le corps, souvenir ou problématique) et que nous l’amenons à lâcher-prise (levier), le processus thérapeutique s’amorce naturellement, à sa manière, par le chemin le plus adéquat, quelques soient les associations d’idées ou ce qui émerge de soi. Il s’agit, comme le préconise Levine (2014), d’être « fluide », c’est-à-dire de toucher cette « aptitude à passer aisément d’un état d’intense émotion à une autre » (idib., p. 44), de « laissez la réorganisation se faire « (Selvam, 2015), de « ne rien faire, attendre et laisser venir » (Roustang, 2006). Lâcher-prise, c’est fondamentalement être présent (« pleine conscience focalisée », Grand, 2014), traverser l’expérience, prendre le temps nécessaire à la traversée, se laisser transformer par l’expérience vécue, par le processus issu de l’événement. Le lâcher-prise constitue le levier par lequel le processus permet une croissance psychique en vue d’une meilleure cohérence. C’est un saut dans l’inconnu qui transforme en quelque sorte le chemin sur lequel le patient était, le chemin issu de l’événement qui avait changé le cours de la vie.

Une fois focalisé sur la cible de départ et l’activation liée, tout en étant conscient de ce qui se joue en soi, en laissant la vie reprendre le dessus, en renouant avec ses propres instincts, en accueillant tout en participant à ce qui surgit, la réorganisation s’opère spontanément jusqu’à sa résolution si nous nous attachons à nous donner le temps nécessaire et si nous prenons en compte les MAR.

J’observe fréquemment, lors de ces séances, une tendance à vouloir verbaliser, mettre des mots, intellectualiser, symboliser. Cette tendance naturelle à mettre en mots est certes fondamentale mais constitue souvent un moyen de ne pas ressentir, de ne pas se reconnecter à soi, de mettre à distance. D’une certaine manière, la mise en mots systématique constitue également un mécanisme adaptatif de résistance : se distancier de ses affects, chercher à comprendre pour tenter de reprendre le contrôle sur sa vie. La conséquence est évidente pour tout praticien qui s’intéresse au corps et à l’émotionnel : une assimilation impossible ou incomplète du trauma.

Ces réflexions, d’une certaine manière, amènent vers un positionnement humaniste et intégratif, vers une considération autre de l’humain, de son « inconscient », de ses ressources et surtout de la prise en charge thérapeutique. La suite de mon propos va être d’envisager les enseignements de Laozi afin de penser le dispositif thérapeutique d’une façon autre, en envisageant premièrement une notion à mes yeux fondamentale dans la tradition taoïste « wu wei » et ensuite l’importance de la régulation du corps.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row el_id= »3″][vc_column][vc_column_text]

Wu Wei

« Les psychothérapies occidentales ont pour but d’aider à construire un soi stable et équilibré. Mais en réalité, nous sommes la continuité du courant de la vie. Dès lors que le mental s’identifie à la notion d’un soi soigneusement séparé des autres, il n’y a qu’une légère guérison. Cela ne peut pas mener très loin. Si la guérison ne prend pas en compte la réalité dans sa globalité, elle ne peut être que partielle »

(Thich Nhat Hanh, Lama).

Une différence fondamentale, à laquelle nous ne sommes généralement pas habitués, existe entre notre manière bien occidentale d’appréhender la vie et le regard taoïste. Nous, occidentaux, sommes soumis dès le plus jeune âge à un « driver de contrainte » général que l’on pourrait résumer ainsi « Contrôle-toi et sois maitre de ton existence ». Notre éducation et les exigences sociétales nous incitent en effet à contrôler notre vie, contrôler nos émotions, à être les bâtisseurs de notre existence, ce qui ne fait que renforcer notre ego et souvent notre souffrance du fait de réaliser notre insuffisance. Ceci est particulièrement décrit par Ehrenberg (200) dans son livre intitulé La fatigue d’être soi où il envisage la maladie dépressive comme une « maladie de la responsabilité dans laquelle domine le sentiment d’insuffisance » (p. 11). L’auteur décrit combien nous sommes fatigués d’être obligés de devenir soi, de se réaliser pour apporter notre pierre à l’édifice qu’est la société. Et ceci passe, comme le souligne Freud (2019) dans Malaise dans la civilisation à la fois par un renoncement pulsionnel et par la nécessité de renforcer le Moi pour faire face à notre Ombre et aux exigences de notre culture. Aussi, nous souffrons d’être dans l’illusion d’une pseudo-puissance qui nous échappe constamment…

Le Taoïsme nous propose un chemin opposé et au combien rassurant mais parfois aussi angoissant, ce qui en fait un paradoxe riche d’enseignements. La voie préconisée est celle du non-agir :  Wu Wei. Laozi, considéré comme étant à l’origine du Taoïsme et de ce merveilleux ouvrage intitulé Le Livre de la Voie et de la Vertu nous enseigne dans le chapitre 37 :

« Le Dao pratique éternellement wu wei, pourtant il n’y a rien sur lequel il n’agit pas. »

Le Dao apparait en ce sens comme à la fois le chemin à suivre, la Voie, la destination de ce chemin, le retour à l’origine de toute chose et au principe créateur de la Vie. D’ailleurs, un dicton propre à la pratique du Zen suit cette même philosophie de vie et invite au respect des lois qui gouvernent l’univers :

« Cela dont on peut dévier n’est pas le vrai Tao. »

« Wu Wei » signifie d’une certaine manière l’action dans la non-action, ou plus précisément l’action qui accompagne et génère le mouvement de la Nature. Il s’agit d’être et d’agir en conformité avec les grandes lois qui régissent l’univers. Non pas vouloir contrôler ces lois mais vivre en harmonie avec elles pour laisser la vie nous guider vers ce qui doit advenir. Le Dao implique constamment le non-agir et par voie de conséquence l’abolition de la volonté et du souci de contrôle de ce qui advient. En respectant Wu Wei, tout devient alors possible puisque nous laissons la Vie circuler librement dans nos veines et nous guider vers ce qui doit advenir.

Strom (2004), un des traducteurs de l’ouvrage de Laozi, précise que le Dao crée naturellement de l’ordre et de l’harmonie. Il y a quelque chose de l’ordre de l’Intelligence vitale comme l’envisage Oschman (2016).

Mais lorsque l’on parvient à être dans Wu Wei, le désir et la volonté peuvent surgir à tous moments et s’infiltrer dans notre être. Dans ce cas, il est important de neutraliser désir et volonté en recherchant la plus grande simplicité qui ne porte pas de non, le non-agir. Laozi (37) précise :

« La simplicité sans nom conduira aussi au non-désir. Le non-désir, par la pacification, conduira spontanément l’empire à la rectitude. »

Maîtriser cette simplicité sans nom amène à l’absence de volonté et au non-agir. Pour cela, il faut apprendre à cultiver le calme et tout se remet dans l’ordre :

« Quand on parvient au vide suprême on garde un calme solide… Être au repos veut dire revenir au destin… Sans la notion de la personne, il n’y a pas de danger » (Laozi, 16).

Cultiver le calme, c’est désinvestir le monde des pensées et des émotions, c’est sortir de la dualité qui caractérise notre mode de fonctionnement ordinaire. Il s’agit de vivre un état de conscience sans forme, sans dualité, sans opposition. Le Taoïsme nomme cela « Wu Ji ». Wu Ji symbolise l’absence de différenciation, le vide d’où est né ensuite l’univers selon la cosmologie chinoise.

Comme me l’a enseigné mon Maître en arts internes, le docteur Jian, « le Wu Ji (la Non-forme) est la forme du Dao. Il a créé le You Ji (la Forme), soit le Un. Le Un crée le Deux, le Tai Ji (la grande polarité), soit le Yin et le Yang. Le Yin et le Yang deviennent le Dao. Le Dao est la source du Ciel et de la Terre et de tous les êtres. C’est la loi des mutations… Le Ciel et la Terre sont le Yang et le Yin, le Yin et le Yang sont le Tai Ji. Il existe le Yin et le Yang dans notre corps donc notre corps est le Tai Ji. Si l’on cherche les grandes méthodes pour trouver la grande route de la vie ou la loi du Ciel et de la Terre, on est obligé de commencer par son propre corps. De son propre corps, pour comprendre le Ciel et la Terre et pour arriver à la grande route de la Nature » (Jian, 2021, p. 76).

Comme nous l’enseigne Laozi, Le Dao produit un, un produit deux, deux produit trois, trois produisent les 10000 choses. Il faut entendre par 10000 choses tout ce qui existe dans notre monde manifeste. Du vide nait la Vie et l’équilibre.

Johnson (2009), dans son remarquable Traité de Qigong médical, tome 1, insiste également sur la nécessité de considérer Wu Ji comme un matrice d’où tout nait, faisant également un lien étroit entre Wu Ji et la physique quantique, en particulier avec la notion d’Ordre implié proposé par le physicien David Bohm :

« Il est important de prendre conscience que chaque individu a été conçu et développé au centre de l’Utérus considéré comme le Cœur du Dantian inférieur de la femme. Par conséquent, lorsqu’un individu médite et accède au Wu Ji (considéré comme le ventre de l’univers), il s’agit d’une recréation symbolique du processus de sa propre formation physique et énergétique » (p. 288).

Aussi, pratiquer le non-agir permet peu à peu d’accéder au Wu Ji, à la source de toute chose et aux potentialités d’où émerge la Vie. Du vide nait la polarité, la dualité. De cette dualité nait la complémentarité et tout ce qui advient. Il s’agit de se relier à la Terre et au Ciel, au Yin et au Yang, l’être humain étant une combinaison du Ciel et de la Terre. Nous arrivons alors à l’essence, à mes yeux, du Qigong, à savoir se relier au Ciel et à la Terre, pour laisser le Qi, l’énergie, circuler librement en nous. Plus nous sommes dans Wu Wei, plus le Qi se meut librement et joue son rôle organisateur de vie.

De plus en plus de chercheurs s’intéressent aux propriétés de l’énergie en tant qu’organisateur de la vie, renforçant du coup l’intérêt de se nourrir des traditions ancestrales. Il semblerait, au regard des recherches avancées de Fritz Popp (1998) pour ne citer que lui, par exemple, que la lumière joue un rôle essentiel en tant qu’organisateur de la santé. L’ADN jouerait un rôle fondamental dans ce processus comme une antenne réceptrice et émettrice de ce champ lumineux. Jonhson (2009) reprend cette thèse :

« Les recherches ont démontré que toute chose vivante émet un courant permanent de photons qui se prolonge au-delà de l’organisme. Le nombre de photons émis est déterminé par la position de l’organisme sur l’échelle de l’évolution ; plus l’organisme sera complexe, moins il émettra de photons… Cette interaction de la lumière avec les tissus corporels et l’intérieur des organes internes a un profond effet guérisseur, plus particulièrement lorsqu’elle est activée par l’émission du Qi provoquée par un praticien de Qi Gong. Quand les muscles ou les nerfs sont sollicités pendant une séance de thérapie ou au cours d’exercices de Qi Gong médical, l’émission de biophotons devient de plus en plus importante. Les études effectuées sur les thérapies de la lumière et de la couleur ont démontré leur incontestable efficacité » (p. 167).

J’ai eu l’opportunité et la chance il y a quelques années de rencontrer Eric Pearl (2001) fondateur du soin reconnectif, approche à laquelle je me suis formée avec lui et ses collaborateurs. Il ne cessait de dire lors des pratiques : « Don’t send, just feeling ». Ne cherchez pas à envoyer, juste ressentez. Il n’y a pas de façon plus simple que de décrire Wu Wei, juste ressentir et laisser faire. Lorsque nous parvenons à juste être là, sans attente, sans intention, vide, juste être en contact avec le Qi, le processus régulateur et organisateur s’enclenche naturellement.  Cette nouvelle réflexion de Pearl (2001, p. 141) étaye mon propos : « Lorsque nous reconnaissons que guérison veut dire rétablissement du contact avec la perfection de l’univers, nous prenons conscience que l’univers sait quels besoins combler et quels fruits cela donnera. Le hic, c’est que nos besoins ne correspondent pas toujours à nos attentes et à nos désirs ».

Schwartz (2001), professeur de médecine et de psychologie à l’université de l’Arizona, a proposé dans cette même idée le concept de « sagesse du corps » et de « sagesse du contact ». Il avance avec ses collègues universitaires, l’hypothèse de 5 étapes pour faciliter le processus de croissance et de guérison : l’attention, le contact, l’autorégulation, l’ordre et l’aisance.

Étape 1 : L’attention.

Être attentif à son corps et à l’énergie qui circule en lui. Être attentif à l’énergie qui circule entre son corps et l’environnement.

Étape 2 : Le contact.

Faire l’expérience de l’énergie renforce le contact avec notre corps et ce qui nous entoure, notre environnement.

Étape 3 : L’autorégulation.

Faire l’expérience du contact avec l’énergie, notre être et notre environnement crée naturellement de l’autorégulation, autorégulation qui s’amorce spontanément si nous parvenons à abolir notre souci de contrôle.

Étape 4 : L’ordre.

L’autorégulation se traduit par de l’ordre et par ce qui est correct, naturel, simple et cohérent.

Étape 5 : L’aisance.

L’aisance est l’expression de l’ordre. Il y a quelque chose de l’ordre de la fluidité, tout comme la fluidité du mouvement en Qigong.

L’autorégulation engendre donc la fluidité du processus et la santé. Schwartz précise en outre que l’inverse du processus est également vérifiable :

« Si vous ne prêtez pas attention à votre corps (étape 1), il y a absence de contact avec votre corps et entre votre corps et son environnement (étape 2), ce qui entraîne un dérèglement dans le corps (étape 3), qui se traduit à son tour par un désordre dans le système (étape 4) et est vécu sous la forme d’une maladie (étape 5) » (p. xii).[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row el_id= »4″][vc_column][vc_column_text]

Enseignements de Laozi et psychothérapie

« L’art de laisser les choses arriver, l’action par la non-action, l’abandon de soi-même comme l’enseigne Maître Eckhart devint pour moi la clé qui ouvre la porte sur la voie… C’est un art à propos duquel la plupart des gens ne connaissent rien. La conscience interfère constamment…  Ce serait simple, si la simplicité n’était pas la plus difficile des choses. »

Carl Gustav Jung

Notre mode de fonctionnement psychologique (et parfois pathologique) est étroitement lié à notre état de conscience ordinaire (ECO), à notre manière d’appréhender notre existence, à notre singulière façon de penser notre monde et notre réalité. Nous pourrions dire plus simplement que nous nous percevons et que nous percevons le monde au travers d’un prisme structuré par un ensemble de croyances issus de nos expériences de vie, de notre éduction et de la société. Nous pourrions également envisager l’idée que la personne en souffrance ne parvient pas à sortir de ce prisme, de ce mode de fonctionnement continuellement entretenu par nos pensées, émotions et comportements. D’ailleurs, les stratégies le plus souvent mises en place pour tenter d’aller mieux ne font qu’entretenir le problème. Le sujet lutte contre lui-même, contre ses émotions, ses sensations douloureuses, ses comportements dysfonctionnels, etc. Il use de stratégies pour tenter de se sédater, de ne pas penser, avec l’usage inapproprié de médicaments (anxiolytiques en particulier), les addictions, le sport à outrance ou des moyens de s’évader semble-t-il plus naturels comme la méditation, le yoga, etc… Ces mécanismes adaptatifs ne sont que rarement opérants car ils témoignent d’une peur de se confronter à l’Ombre, une lutte perpétuelle contre l’Ombre[1], et les stratégies mises en place se situent dans le même plan de conscience / de réalité que le problème !

Freud, par la suite Lacan, proposent cette belle formule qui témoigne, à mon sens, de cette même mécanique qui vise à prendre distance, et d’une certaine manière de « mettre le couvercle sur la marmite » grâce à un renforcement du Moi :

« Là où Ça était, Je doit advenir. »

Du Ça, envisagé comme le réservoir pulsionnel qui nous relie à notre part animale, doit naître le Moi, l’être socialisé, les processus secondaires, témoignant d’un contrôle de ce qui se joue en soi et que l’on ne souhaite pas rencontrer et voir… C’est oublié que Freud n’a jamais réellement abandonné la pratique de l’hypnose, contrairement à un consensus largement admis dans les milieux psychanalytiques. Les études historiques mettent en effet en avant que d’une part, Freud a régulièrement traité la question de l’hypnose dans ses écrits, et d’autre part, il pouvait être amené à l’utiliser avec ses patients ponctuellement. Il a toujours été fasciné par les phénomènes hypnotiques sans pour autant en comprendre véritablement sa portée et son essence. D’ailleurs, dans l’ouvrage de 1914 Intitulé Remémoration, répétition et perlaboration (2019), il en vient à écrire que la perlaboration[2] est quelque chose de l’ordre de l’abréaction[3] hypnotique ! Freud, lui-même, explique que ce qui est efficace en analyse est quelque chose de l’ordre de l’hypnose et de la transe. D’où ce renversement épistémologique fondamental proposé par Roustang (2000), psychanalyste faut-il le rappeler :

« Là où Je était, Ça doit advenir. »

Il s’agirait au fond de réaliser le chemin inverse, à savoir abolir l’intention d’aller mieux, abolir la pensée, ne plus se soucier du souci de comprendre :

« Pas de désirs, pas de vouloir, le vide, le geste de démission, une simple masse, un volume, un poids, rien. Se remettre au commencement où tout est lié et pour cela rompre tous les liens existants » nous dit Roustang (2004, p. 185). Il y a quelque chose de l’ordre de la transe, qui, comme nous le rappelle Tobie Nathan (2019), renvoie étymologiquement à l’idée de mourir, mourir à soi, passer de l’autre côté. La transe n’est possible que si notre monde est composé de différents mondes ! La transe constitue un moyen de transiter sur différents plans, d’où la notion de « transeur » proposé par Corinne Sombrun !

Il s’agirait donc, non pas de renforcer le Moi pour mettre à distance le Ça, non pas de devenir le maître de son monde intérieur, le maître de son existence, mais au contraire de parvenir à lâcher-prise et à suspendre régulièrement notre individualité pour nous fondre dans un Tout intelligent. Et ceci passe nécessairement par Wu Wei, la non-action, l’abolition de la volonté et par Wu Ji, le vide indifférencié.

Laozi (3) résume en quelques mots le chemin à suivre :

« … Sheng Ren pour gouverner, vide le cœur des hommes, remplit leur ventre, affaiblit leur ambition et fortifie leurs os… Il agit par le non-agir, alors il n’y a rien qui ne puisse être mis en ordre ».

« Sheng Ren » pourrait être traduit par le Sage ou le Maître. Pour se réaliser et trouver l’harmonie, celui-ci doit « vider le cœur ». En médecine traditionnelle chinoise (MTC), le Cœur, souvent également appelé l’Empereur, est considéré comme la « Maison de l’Esprit », le Shen, qui coordonne le psychisme et la personnalité. Il est celui qui régule en outre toutes les émotions, les émotions venant troubler à la fois l’Esprit et l’organe. La clinique montre d’ailleurs que lorsque les patients sont dysrégulés sur un plan émotionnel, le rythme cardiaque est irrégulier, manque de cohérence et le cœur peu à peu souffre. De ce constat sont nées certaines approches thérapeutiques comme la cohérence cardiaque par exemple.

Vider le Cœur est donc une invitation à calmer ses pensées et ses émotions. Remplir le ventre peut signifier revenir au corps. Pour être plus précis, en Qi Qong, il s’agit de travailler avec le bas ventre, zone du corps au combien importante qui prend différents noms : Dantian, champ de Cinabre, Hara, etc.

Calmer ses pensées et émotions, revenir dans son corps, inhiber ses ambitions, ses désirs et sa volonté permet peu à peu de vivre un état de non-action, Wu Wei. En MTC, la volonté est sous l’égide du Rein, organe qui constitue l’essence de la moelle et des os. Trop user de la volonté nuit au Rein et donc aux os. Renforcer ses Reins et donc ses os passe par une diminution de l’usage de la volonté. D’ailleurs, dans la maladie dépressive qui se caractérise par une perte de la volonté, l’aboulie, on observe également sur un plan énergétique un vide d’énergie du rein !

Être juste là, dans son corps, sans envie, sans désir de changement, sans volonté. Ainsi, en ne faisant rien, les choses se font d’elles-mêmes et se transforment naturellement vers l’équilibre et l’harmonie. Le but ultime du Qigong est de pratiquer sans volonté. Il s’agit de parvenir à un état intérieur où le mouvement du corps naît et se développe sans intention, sans volonté, sans effort particulier. Comme le décrit Maître Jian (2014, p. 173), « par ces mouvements, le corps se meut conformément à ses besoins pour s’auto-guérir ».

Parvenir à s’abandonner à l’expérience n’est point aisée et notre culture nous amène en effet à vouloir tout contrôler, tout penser. Cultiver le calme, la non-action, vider le Cœur, donc les pensées et émotions, c’est sortir de la dualité qui caractérise notre mode de fonctionnement ordinaire. Nous retrouvons ici ce que Roustang nomme la « vigilance restreinte » et la « vigilance généralisée ». Il s’agit de vivre un état de conscience sans forme, sans dualité, sans opposition, Wu Ji, afin de se relier à ce qui est à l’origine de toute chose, le champ du possible. Je cite de nouveau Laozi (4) :

« Le Dao est un vide (d’où sort un courant pressant), et à l’usage ce vide ne se remplit nulle part. Oh ! Ce Tourbillon Profond (Yuan[4]) semble être l’ancêtre des dix mille êtres. Il brise leurs pointes, dissout leurs nœuds, accorde leurs lumières, réunit leurs poussières. Qu’il est profond, intense. Il semble exister partout et éternellement. Je ne sais pas de qui il est le fils. Il semble être antérieur au Souverain Céleste ».

En pratique, ceci passe par la culture de l’attention tournée vers ce qui se meut en soi sans souci de comprendre et de contrôle, tout en laissant l’énergie, le Qi, faire son œuvre. Yu Yongnian (2015, p.159) pointe la fonction fondamentale de la présence attentive dans la pratique du Zhan Zhuang :

« Un événement unique au sein de la thérapeutique a lieu : à travers l’observation d’un phénomène pathologique, celui-ci se transforme jusqu’à sa disparition, c’est-à-dire que la conscience est le pilier du diagnostic et du traitement. C’est une méthode qui ne peut pas être remplacée par un autre type de médecine ou par une thérapie médicale et qui peut résoudre le conflit essentiel entre maladie et force corporelle ».

Nous affinons, à partir de ces réflexions, notre compréhension du chemin à suivre :

  • Être attentif,
  • Ne rien faire,
  • Laisser le vide, ou plus précisément l’énergie du vide (Chong Qi), suivre son chemin vers l’harmonie.

Se pose maintenant la question de savoir sur quoi doit porter notre attention. Comme nous l’avons vu précédemment, Laozi nous enseigne de revenir au Cœur et au ventre, le champ de Cinabre. Mais Laozi (58) précise également :

« Le bonheur s’appuie sur le malheur, le malheur est caché dans le bonheur. »

 

La souffrance apparait comme une racine du bien-être, tout comme le bien-être, ou plus précisément l’attachement au bien-être, constitue la source du malheur. Cultiver la souffrance sans s’y identifier, s’en imprégner permet progressivement de vivre et connaître le calme et la tranquillité.

« Le retour est le mouvement du Dao. La faiblesse est le moyen du Dao. Les êtres du bas monde naissent et vivent par You, You est né et existe par Wu » (Laozi, 40).

Chaque chose respecte un fonctionnement cyclique. De la faiblesse nait la force. Les êtres humains sont de l’ordre du « You », le palpable, le concret, le corps, le Yin. Le « You » nait du « Wu », le non-être, le non-palpable, le Yang. Le difficile et le facile se produisent alors mutuellement. Le facile devient difficile. Le difficile devient facile. En résumé, tout est relatif et complémentaire. Aussi, travailler à partir de la douleur amène à vivre la sérénité. Dans le Livre de la Pureté et du Calme (2017), il est d’ailleurs écrit : « Pureté, source du trouble, mouvement, fondation du calme ».

[1] Partie sombre, plutôt inconsciente de soi-même, que l’on ne souhaite pas voir, composée des pulsions opposées à la morale, souvenirs douloureux, etc.

[2] Élaboration psychique, travail de conscientisation.

[3] Catharsis, libération et expression souvent intense des émotions.

[4] Le vide du Dao est comparé avec Yuan, tourbillon profond qui au centre est vide et aspire tout comme un cyclone. Yuan est l’ancêtre des êtres vivants. Le courant d’énergie qui en sort (Chong Qi) donne forme, structure et harmonie.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row el_id= »5″][vc_column][vc_column_text]

Acupression & psychothérapie : applications cliniques

« Turn on, tune in, drop out »

(Timothy Leary, 1979)

Cette citation de Timothy Leary pourrait apparaitre comme une véritable provocation sur un plan historique et sociétal. Rappelons que Leary fut professeur de psychologie à l’université de Berkeley puis de Harvard et connu pour son prosélytisme du LSD qu’il envisageait comme un allié à la spiritualité. « Turn on, tune in, drop out » est souvent considéré comme le slogan qui pervertirait l’homme, formule que l’on pourrait traduire à un premier niveau ainsi : « Branche toi (sur le LSD), mets-toi en phase, et décroche (envois chier la société) ! ». Mes lectures des écrits de Leary m’amènent toutefois à envisager une autre lecture de cette formule provocatrice : Branches toi (sur Wu Ji ?), Pratiques Wu Wei, Ais confiance !

Nous retrouvons ici le fil directeur développé dans tout cet écrit, sorte de leitmotiv de mon propos qui pourrait résumer aujourd’hui ma manière d’envisager le soin et plus particulièrement la psychothérapie. Ceci a été résumé précédemment ainsi :

  • Être attentif,
  • Ne rien faire,
  • Laisser le vide, ou plus précisément l’énergie du vide (Chong Qi), suivre son chemin vers l’harmonie.

Cette manière de procéder constitue le levier thérapeutique auquel sera ajouté l’acupression comme moyen de faciliter une régulation physiologique et émotionnelle. L’élaboration de ce dispositif s’inspire d’une forme de psychothérapie corporelle (Integral Somatic Psychotherapy, ISP) élaboré par Selvam (2015), approche qui s‘inspire de la Somatic Experiencing (Levine, 2014) et de la psychologie orientale (en particulier le Yoga).

  1. La Psychothérapie Somatique Intégrative

L’ISP souligne la nécessité de travailler avec le corps puisque tous les processus psychiques (pensées, émotions, imagination) sont liés aux processus physiologiques. Influencé par l’Orient, ce modèle envisage également les aspects spirituels et énergétiques propres à la culture indienne. Aussi, cette psychothérapie invite le clinicien et le patient à travailler sur différents niveaux simultanément afin de faciliter une régulation émotionnelle plus profonde et durable :

Equilibre holistique et MTC

L’ISP envisage en effet que pour faciliter un bien-être mental, il est nécessaire d’être stable émotionnellement, donc régulée physiologiquement. Cet équilibre corporel est facilité par un bon équilibre énergétique. L’ISP, qui s‘inspire des pratiques du Yoga, envisage de travailler sur les chakras selon une méthodologie précise, particulièrement développée par Sills (Principe de polarité, 2001).

Le but essentiel de l’ISP est de travailler sur la souffrance en augmentant le vécu corporel et en favorisant une régulation qui s’amorce spontanément dès que le sujet se situe dans les conditions propices. Selvam propose d’appeler « personnification » (« embodiment ») ce qui doit être recherché en psychothérapie : une capacité à vivre davantage son corps. La personnification passe par quatre étapes à engager en consultation :

  • Générer une expérience : Travailler sur un plan somatique l’émotion de base de l’expérience. Pour chaque souvenir « désagréable[1]», il est possible de repérer une émotion fondamentale parmi les émotions émergentes. Certaines émotions activées peuvent constituer des mécanismes adaptatifs de résistance (MAR) et travailler avec elles serait entretenir les MAR, empêchant toute assimilation complète du souvenir. Le patient est donc continuellement incité à focaliser son attention (« pleine conscience focalisée », Grand, 2013) sur cette émotion de base, en particulier sur les zones du corps où celle-ci s’exprime.
  • Tolérer cette expérience : Cette seconde phase vise à favoriser une acceptation du vécu somatique et émotionnel. Tolérer l’émotion et le ressenti est d’ordre confrontatif : C’est rompre avec cette tendance légitime à isoler la souffrance et à la repousser. Tolérer permet de générer davantage (phase 1), de mieux posséder cette expérience, de diminuer l’intolérance et en conséquence de réduire le dérèglement physiologique. Ceci doit se faire en respectant la fenêtre de tolérance du patient.
  • Donner du sens à cette expérience : Mieux ressentir ses vécus internes permet progressivement de mettre des mots, de nommer et contextualiser. Cette mise en sens s’effectue chez l’enfant grâce aux interactions avec les parents en particulier. Elle s’opère dans le cadre thérapeutique avec le thérapeute via le système d’engagement social. L’impossibilité de mettre du sens rend un vécu intolérable. Tolérer l’émotion et le vécu somatique amène naturellement, souvent spontanément, du sens à ce qui émerge de soi, en soi.
  • Agir en fonction de cette expérience : Vivre pleinement son expérience permet d’être en accord avec soi-même, en cohérence avec ce que l’on est, avec ses désirs et du coup d’agir verbalement et/ou physiquement efficacement, aboutissant à une gestalt complète. Le faire face est alors efficace, l’intégrité n’est plus menacée, l’homéostasie possible.

En ISP, l’objectif est donc de générer l’expérience vécue autant que possible dans le corps et le cerveau, respecter la tolérance du sujet, prendre en compte les résistances innées et acquises afin d’agir sur la pensée et les comportements. Les patients qui ne peuvent générer l’émotion présentent des difficultés à agir efficacement et à mettre du sens. Les pathologies mentales sont souvent en effet liées à cette intolérance émotionnelle.

Afin de faciliter la personnification et d’étendre le vécu dans le corps et le cerveau, il est donc nécessaire d’accroitre autant que possible l’expérience vécue du souvenir « désagréable ». Pour cela, Selvam (2015) préconise de favoriser une « expansion » de l’émotion dans le corps à l’aide de mouvements spécifiques et du toucher, et ce afin d‘accroitre les ressentis, d’accueillir ce qui émerge, de ressentir davantage et d’augmenter la tolérance. Il s’agit d’amener le patient à ressentir autant que possible l’activation dans la totalité du corps à l’aide de la pleine conscience focalisée. L’expansion constitue une ressource en soi car la tolérance s’accentue naturellement lorsque l’expansion s’opère. Il suffit d’être simplement présent, laisser l’émotion de base augmenter, voir comment elle se développe dans l’organisme et l’étendre autant que possible. Porter l’attention sur les zones du corps reliées à l’émotion, c’est porter son attention sur le dérèglement physiologique et aider à une régulation. L’expansion amplifie le vécu émotionnel et aboutit spontanément à une mise en sens. Afin de favoriser cette expansion, Selvam préconise l’utilisation de trois principales techniques :

  • La Pleine conscience focalisée : focaliser son attention sur le vécu corporel en lien avec l’émotion de base, attendre, observer ce vers quoi cela nous mène, laisser faire. Cela se rapproche du Vipassana, forme de méditation où l’attention se porte sur le corps (Huguelit, 2003).
  • Le toucher : il est demandé au consultant de poser sa main sur la zone du corps activée et d’observer ce qui va se modifier au niveau des sensations. Les mains peuvent être également posées sur deux zones du corps spécifiques afin d’étendre l’expansion en suivant par exemple des directions précises (voir « Expansion et connexion au corps »).
  • Le mouvement : proposer au patient d’effectuer certains mouvements permet de relier diverses zones du corps. Par exemple, chez un patient ayant des difficultés à penser ses ressentis, mobiliser le cou facilite une expansion de la poitrine vers la tête. Chaque zone du corps comporte en effet une symbolique. La mobilisation de certaines parties du corps judicieusement choisies oriente le travail thérapeutique et favorise une régulation. Pour exemple, tendre les bras, poings fermés avec les paumes orientées vers le bas et ouvrir les mains tend à aider à lâcher quelque chose, à laisser partir.

Je présente ci-dessous comment orienter l’expansion dans le corps en suivant une méthodologie précise et subtile qui conjugue attention soutenue, laisser aller, touchers et mouvements effectués en pleine conscience :

Expansion et connexion au corps (Selvam, 2015)

  1. Expansion et connexion au corpsExpérience locale
  2. Expansion vers le haut du corps
  3. Expansion vers les bras
  4. Expansion vers le bas du corps
  5. Connexion entre la poitrine et le ventre
  6. Connexion entre la tête et les bras
  7. Expansion généralisée : toutes les zones du corps sont sollicitées de l’intérieur vers l’extérieur (expérience globale) et du haut vers le bas. Cette dernière étape s’amorce spontanément lorsque la sixième est vécue pleinement.

 

 

  1. La Psycho-acupression

 

  1. 1. Principes

 

Rapidement, suite à ma pratique psychothérapeutique sommairement développée dans le cadre de cet écrit, j’ai souhaité intégrer mes connaissances en MTC aux approches psychocorporelles en vue de favoriser une meilleure régulation énergétique et physiologique. L’idée générale est d’utiliser certains points d’acupression pour faciliter une assimilation des expériences traumatiques et une meilleure régulation émotionnelle.

Une nouvelle fois, Laozi (Strom, 2004, 3) résume tout cela d’une manière très explicite :

« De là vient que Sheng Ren pour gouverner, vide le cœur des hommes, remplit leur ventre, affaiblit leur ambition et fortifie leurs os… Il agit par le non-agir, alors il n’y a rien qui ne puisse être gouverné. »  

Je propose au patient de porter son attention sur sa souffrance et plus particulièrement sur sa manifestation dans le corps au travers de la dysrégulation qui en découle. J’invite le patient, ce qui nécessite de la pédagogie, à juste être attentif à ce qu’il se passe en lui (pensées, émotions) mais surtout sentir dans son corps cette souffrance. Ne rien faire, ne pas lutter, juste être témoin de ce qui se joue en soi afin de laisser l’intelligence de la vie insuffler un mouvement organisateur et salvateur. Le but est de permettre une régulation spontanée des émotions, donc du corps, donc du système énergétique. Afin d’aider au mieux, il est important de proposer un cadre thérapeutique étayant, sécurisant, contenant. Enfin, j’explore l’utilisation de certains points d’acupression en fonction du type d’émotion et de sa localisation physiologique.

Certains points sont sollicités de par leur efficacité :

  • 1R Yong Quan : Par son effet de descente du pervers du haut du corps et une régulation du niveau Shao Yin, la stimulation de ce point est particulièrement intéressante pour dégager toute « pression » au niveau de la tête (surcharge mentale, montée de yang liée aux émotions, etc.).
  • 40E Feng Long : Fréquemment, la tristesse se localise au niveau de la gorge. Aussi, la focalisation de l’attention sur cette zone corporelle alliée à la stimulation du Feng Long facilite rapidement une régulation de la tristesse et une libération de la gorge. Ceci s’explique possiblement par une meilleure régulation du méridien Zu Yang Ming et par un effet de descente du Qi de l’Estomac.
  • 7C Shen Men : Les dysrégulations émotionnelles affectent le Cœur comme en témoignent d’ailleurs les recherches scientifiques actuelles. Lorsque que l’activation est localisée au niveau de la poitrine (oppression, palpitations), l’angoisse est généralement l’émotion de base à travailler. Shen Men est indiqué dans ce cadre-là. Si cette manœuvre n’est pas efficace, il est possible de constater un manque de drainage émotionnelle (stase de Qi du Foie) qui pourra être amélioré à l’aide du point 34VB ou de la combinaison 4GI/3F.
  • 34VB Yang Ling Quan : Ce point est intéressant en cas de stase de Qi du Foie qui se manifeste sur un plan émotionnel par une forme de « blocage », une impossibilité de se réguler et une cuirasse musculaire (hypertonicité musculaire) souvent généralisée.
  • 4GI He Gu / 3F Tai Chong : la stimulation de ces deux points régule le Qi du Foie, facilite un drainage des émotions et libère le sujet lorsqu’il se sent dans une forme d’impuissance face à la souffrance ressentie. Le corps est généralement contracté, suractivé et les capacités de résilience entravées. Cette stimulation est souvent pertinente en croisant les points côté gauche / côté droit (stimuler le 4GI main gauche et 3F pied droit, puis inverser).
  • 5IG Yang Gu : Outre son effet calmant sur un plan psychique, Yang Gu est intéressant en sa qualité à faciliter une distanciation face aux évènements douloureux, une mise en sens qui amène le patient à envisager son histoire d’une manière différente et plus adaptée. Ma pratique clinique me montre aussi son intérêt pour dissoudre les cognitions négatives (croyances négatives qui structurent notre manière d’appréhender la réalité).
  • 10P Yu Ji et 4 GI He Gu : ces points facilitent parfois une respiration plus profonde, voire un relâchement du diaphragme. Les émotions en sont du coup davantage régulées. Je remarque toutefois que Shen Men et Feng Long sont généralement plus opérants.
  • 20DM Bai Hui : Une des particularités de Bai Hui est de pacifier le vent et de soumettre le Yang. Nous pouvons en ce sens imaginer sa forte action calmante qui se traduit par une activation du système vagal ventral. Je propose fréquemment au patient une ou plusieurs séances où je vais travailler en Fa Gong sur ce point pendant une durée relativement longue (30 minutes généralement). Puis au cours des séances suivantes, je débute de la même manière la séance afin de favoriser une profonde tranquillité puis invite le sujet à porter son attention par exemple sur un souvenir douloureux qui engendre le plus souvent une dysphorie. Ceci induit plus qu’une désensibilisation puisque l’on observe une transformation des cognitions liées à l’événement, une prise de recul salutaire et j’observe les signes cliniques typiques témoignant d’une assimilation de l’expérience traumatique.

Il existe probablement d’autres points qui pourraient être intégrés à la psychothérapie. Je n’en suis qu’au début de l’élaboration de cette méthodologie clinique qui fera possiblement l’objet ultérieurement d’un écrit plus structuré et élaboré. Comme le lecteur pourra aisément le concevoir, il ne s’agit pas ici d’envisager le trouble psychique sous l’angle unique de la MTC et de le traiter par acupression (acupuncture), phytothérapie ou nutrition mais d’allier en consultation un travail sur 4 niveaux : psychique, émotionnelle, somatique, énergétique. Il s’agit peut-être plus au fond d’intégrer l’acupression chinoise à un dispositif psychothérapeutique déjà bien construit et ce, afin d’en accentuer sa pertinence et son efficacité au sein d’une vision la plus holistique possible.

 

  1. 2. Vignette clinique

A titre d’exemple, je vous propose de décrire succinctement une vignette clinique pour rendre mon propos peut être plus évident :

Nathalie, âgée de 48 ans, me consulte en raison d’un syndrome anxio-dépressif important et d’une grande dysrégulation émotionnelle qui l’envahit fréquemment au quotidien (peurs, tristesse, sentiment de jalousie, culpabilité). Je retrouve lors de l’anamnèse des aspects abandonniques importants qui constituent probablement l’étiologie principale de ses difficultés. Je présente ci-après une séance de travail psychothérapeutique en intégrant l’acupression.

Nous décidons de partir de messages sms reçus récemment, envoyés par son ex-mari, père de ses deux enfants. La relation avec cet homme est depuis leur séparation très conflictuelle, avec beaucoup de reproches réciproques, réactivant à chaque fois chez Nathalie à la fois tristesse, colère et éléments renvoyant à une altération de l’estime de soi.

Le pilier de cette séance correspond donc au souvenir des sms ainsi que la tristesse et la colère qui se réactivent en consultation. Je propose à Nathalie, paupières fermées, de penser à cela puis d’observer toutes les pensées qui lui viennent spontanément à l’esprit, ainsi que les émotions et sensations (levier thérapeutique : pleine conscience focalisée, PCF).

Durant cette phase de PCF, tous les deux silencieux, je travaille sur le point 7C Shen Me pendant près de dix minutes en Fa Gong puis Nathalie me fait un premier retour verbal de son vécu : elle ressent un apaisement et se voit au-dessus d’une boite (distanciation). Je lui propose d’entrer dans celle-ci, ce qui déclenche rapidement une abréaction émotionnelle. Afin de faciliter la décharge émotionnelle et de fluidifier ses émotions, je travaille en Fa Gong sur le point 3F Tai Chong jusqu’à un apaisement après quelques minutes. Nathalie me décrit ressentir une constriction au niveau de la poitrine et dans la gorge, essentiellement au niveau du méridien de l’Estomac. Afin de lui permettre de mieux se réguler, je termine avec le point 36E Zu San Li qui va lui permettre un grand apaisement, une sensation de libération et de distanciation vis-à-vis de son ex-conjoint, accompagné d’une sensation d’ancrage et de solidité.

[1] J’emploie volontairement l’adjectif « désagréable » pour élargir le sens de traumatique. En effet, un souvenir peut être coloré d’une émotion désagréable, sans pour autant être traumatique. Toutefois, ce souvenir, en raison du vécu désagréable, témoigne de son aspect dysfonctionnel et non assimilé. L’aspect désagréable ne donne donc pas nécessairement un caractère pathologique qui est à évaluer en fonction de son contexte.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_column_text]

Conclusion

« Ce qui est calme est facile à saisir et à tenir ;

ce qui n’est pas encore paru est facile à prévenir,

ce qui est fragile est facile à briser ;

ce qui est menu est facile à disperser.

Préviens avant que les choses existent ;

mets de l’ordre en évitant le désordre… »

Laozi, Dao De Jing

(Strom, 2004, 64)

Toute la sagesse chinoise est à mes yeux résumée par cette pensée de Laozi. Apprendre à cultiver le calme en toute confiance permet de trouver un équilibre toujours précaire. Sachons cultiver ce calme, par une pratique constante, quelques soient les circonstances afin de vivre en harmonie avec notre environnement.

Le travail psychothérapeutique peut s’envisager sous cet angle, permettre au patient qui traverse une période chaotique sur un plan psychique et émotionnel, de se réguler. L’acupression apparait en ce sens comme une « technologie » pertinente et efficace car elle facilite, bien employée, l’assimilation de souvenirs douloureux, une meilleure conscience corporelle et fréquemment un accès à quelque chose qui relève de l’holotropisme. Comme le rappelle Pearl (2001, p. 141), citation déjà mentionnée, « Lorsque nous reconnaissons que guérison veut dire rétablissement du contact avec la perfection de l’univers, nous prenons conscience que l’univers sait quels besoins combler et quels fruits cela donnera. Le hic, c’est que nos besoins ne correspondent pas toujours à nos attentes et à nos désirs ».

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Merci d’avoir mon article de fin d’études ! Pour en savoir plus sur la formation en Acupression (MTC) en ligneque j’ai suivie, n’hésitez pas à me contacter ou à suivre ce bouton pour découvrir cette formation.
Joanic Masson

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