Quels sont les liens entre l’écologie et la tradition Taoïste ? Qu’est-ce que les enseignements traditionnels ont à nous apprendre sur un positionnement face à la nature ? Sur la protection de l’environnement ? Face à l’éco-anxiété ? Baigné de nombreuses années dans des enseignements traditionnels, notamment la culture taoïste, Amaël Ferrando nous offre un autre regard sur l’écologie, la protection de l’environnement et l’éco-anxiété…
Introduction
Actuellement l’environnement, la protection de l’environnement, et plus généralement l’écologie, c’est quelque chose qui occupe beaucoup le débat public et qui occupe beaucoup les préoccupations de chacun. Il y a certains d’entre nous qui sont touchés d’éco-anxiété, particulièrement des jeunes qui sont extrêmement préoccupés par ces choses là.
Et je voulais apporter un autre regard sur ces réflexions, qui peut émaner du taoïsme, de la sagesse taoïste traditionnelle chinoise. Parfois d’ailleurs ces mouvements écologiques se revendiquent d’une forme de néopaganisme, donc une relation à la nature qui est différente. Et personnellement j’ai eu la chance de baigner dans des enseignements traditionnels pendant beaucoup d’années, notamment des enseignements du taoïsme, mais pas seulement, et ces enseignements traditionnels je pense qu’ils ont vraiment un regard à donner sur la relation à la nature et sur l’écologie.
Protéger l’environnement ?
La première chose qui me surprend toujours c’est cette notion d’environnement, ou de protection de l’environnement. Parce que quand on parle d’environnement c’est comme si l’humain ne faisait pas partie de l’environnement, mais qu’il était extérieur, et qu’il doit du coup être actif pour protéger cet environnement. Et ça c’est quelque chose qui me semble pas conforme à la réalité. Il me semble que notre corps humain c’est un phénomène naturel, nos pensées nos émotions sont un phénomène naturel, évidemment on n’est pas produit dans des éprouvettes, ce sont nos parents qui sont eux-mêmes descendants d’autres humains qui nous produisent. Donc tout ce que nous sommes fait partie de la nature. Et on ne peut pas le penser séparé. Ça je trouve que c’est très bien illustré dans la peinture classique chinoise : on voit souvent de grands paysages, des montagnes, des vallées, des arbres etc., et au sein de ces paysages on peut apercevoir quelques humains ou alors quelques habitations, qui ne prennent pas tout l’espace, ou qui sont pas non plus le point de focalisation, mais qui sont intégrés dans cette globalité, dans cet environnement.
Et du coup c’est la nature qui est le centre de la peinture, du tableau, et l’humain en fait partie. Et il me semble que nous en tant qu’humains nous faisons partie de la nature. Donc c’est un peu dissonant de parler d’environnement ou de protection de l’environnement. On peut plutôt parler de la nature. Dire qu’on doit protéger la nature, ça veut dire qu’on doit se protéger nous-même. Et en fait c’est le moteur principal de ces réflexions, quand il y a de l’éco-anxiété, le gros des préoccupations c’est de se dire on va plus avoir d’eau pour boire, on va avoir trop chaud, on va avoir trop froid, on aura plus à manger…
Donc ce n’est pas du tout une vision de protection de la nature, c’est en effet une vision de protection de notre environnement, il y a quelque chose de d’assez égoïste dans cette démarche, qui est légitime je pense, c’est pas du tout une mauvaise démarche, mais il faut la voir pour ce qu’elle est c’est-à-dire :
« On a peur pour nous, et pour notre environnement ».
Parce qu’on ne se considère pas comme faisant partie de cette globalité. Il me semble que si on se considère comme faisant partie de cette globalité, on peut avoir une relation différente à la nature, et essayer non pas de la protéger, parce que cette notion de protection implique qu’on en soit extérieur. Et souvent il me semble qu’elle amène des choses qui sont un petit peu dissonantes. C’est souvent ce qu’on reproche aux écologistes, je sais pas par exemple d’aller embêter les Inuits pour leur dire d’emballer leurs cacas ou des choses comme ça, enfin, c’est une vision qui va être complètement décorrélée de la réalité.
Cela vient en partie du fait qu’on ne se considère pas comme faisant partie, si on se considère comme faisant partie, on ne va pas chercher à protéger quelque chose, on va chercher à vivre en symbiose. Et vivre en symbiose c’est complètement différent.
La vision du Taoïsme
Pour illustrer ça je cite deux petites phrases chinoises assez classiques. La première c’est une des consignes de la pratique du Qigong, (quand on apprend le Qigong ou le Qigong Tuina ce sont des choses qu’on apprend, qu’on étudie, qu’on essaye d’intégrer), c’est une phrase toute simple qui dit :
« Chun Qi Zhi Ran »
et ça veut dire :
« Suivre sa nature ».
Ce pronom « sa » peut correspondre à notre nature propre, à celle de l’univers, ce n’est pas du tout précisé. On peut aussi le traduire autrement que « nature », on peut le traduire juste par :
« Suivre sa spontanéité ». Ou « suivre ce qui est là », ou « suivre ce qui vient de soi-même ».
« Zhi Ran » c’est traduit aujourd’hui par « nature » mais on peut le traduire aussi par « ce qui provient de soi-même ». Ça veut dire que si on suit chacun notre nature profonde, notre courant, notre élan, notre spontanéité, en principe on va aller vers une forme d’harmonie.
Et il y a une autre phrase qui vient du Tao Te King, qui est un ouvrage classique et qui est le fondement du taoïsme, dont j’ai fait une traduction il y a quelques années, et cette phrase elle dit :
Ren Fa Di, Di Fa Tian, Tian Fa Tao, Tao Fa Zhi Ran.
et ça veut dire donc :
« l’humain se modèle sur la terre,
La terre se modèle sur le ciel,
Le ciel se modèle sur la voie,
La voie se modèle sur la nature (ou sa nature). »
Et on voit que ce concept de nature – on pourrait la détailler beaucoup cette phrase, il y a différents niveaux entre l’humain, la terre, le ciel, la voie et la nature ou le spontané ou le naturel – on voit que tout en fait ramène à ça, à ce qui est là de soi-même. Du coup on pourrait penser que la réponse à nos problématiques « environnementales » que nous donnent les anciens chinois, c’est de suivre chacun notre tendance naturelle. Et de s’y opposer le moins possible.
Du non-agir taoïste
Et là on a une vision qui est un petit peu le contraire de ce qu’on fait, y compris dans certains courants écologiques, mais en tout cas dans notre société en général, c’est-à-dire d’essayer d’agir sur la nature, agir sur l’environnement, agir sur nos proches, agir sur les autres, et cetera.
Et la vision du taoïsme nous dit de juste de suivre notre élan intérieur. On peut peut-être imaginer qu’il y a une sorte de sagesse immanente, sous-jacente, à notre environnement, au monde, au cosmos, et que si chacun suit sa nature, suit son courant intérieur, les choses vont se dérouler de façon naturelle, dans le sens du cosmos. Et c’est une vision qui peut amener beaucoup de sérénité et en même temps qui peut amener des actes différents. Je suis le premier à soutenir l’écologie politique parce que je pense que dans notre société c’est ce qu’il y a de moins pire disons, mais je pense aussi que ça ne suffit pas, et que ce serait formidable de pouvoir avoir un vrai changement de relation au monde. Et ce changement de relation au monde, évidemment il va aussi changer la façon dont on produit nos déchets, la façon dont on consomme, dont on agit, et cetera. Actuellement ce qui se développe énormément, plus qu’une conscience écologique, c’est une conscience coupable.
Beaucoup de personnes se sentent extrêmement coupables de la façon dont elles consomment mais continuent à le faire quand même, et en plus de produire des déchets pétrole on produit aussi des déchets psychologiques, de culpabilité, de mal-être, d’angoisse, etc.
Je pense que c’est une impasse. En tout cas aujourd’hui ça semble être une impasse. Donc évidemment qu’il est nécessaire d’être actif, avec l’environnement, mais il faut voir quelles en sont les causes, les racines. Et la racine on peut la trouver dans une vision de l’humain qui se voit extérieur à la nature. Et ça, ça commence je pense avec les monothéismes : le Zoroastrisme, ensuite le Judaïsme, le Christianisme, l’Islam, d’une certaine façon le bouddhisme. Où on a en fait construit une vision de Dieu qui est extérieur à la nature, et l’humain qui est extérieur à la nature.
La place de l’humain dans la nature
J’avais eu cette conversation vraiment qui m’avait beaucoup étonné avec un naturopathe, un aromathérapeute de l’ancienne génération, et je lui demandais pourquoi les plantes produisaient des huiles essentielles et pour lui la réponse était évidente il m’avait répondu : c’est normal c’est parce que les plantes sont faites pour soigner les humains. Et dans la vision monothéiste c’est ça.
On retrouve ça dans la Bible, que Dieu il crée les animaux pour servir les humains, les plantes pour nourrir les humains, et cetera. Dans une vision classique on va dire d’avant le monothéisme, d’avant les monothéismes, on pourrait dire que les humains ils font partie de cette globalité.
On retrouve d’ailleurs ça dans un petit chapitre du Lie Zi, qui est aussi un texte classique chinois, qui est vraiment éclairant et qui a plusieurs milliers d’années mais qui nous donne une vision très très pertinente de cette discussion : il y a un roi qui remercie la terre, parce que la terre donne aux hommes à manger, etc. Et l’un de ses proches se moque de lui de façon absolument effrontée, en lui disant « mais vous dites n’importe quoi », le roi il ne comprend pas et puis il se met en colère et l’autre lui dit : « est-ce que vous pensez que Dieu nous a créé pour nourrir les moustiques ? On se fait piquer par les moustiques mais est-ce que la finalité de notre corps c’est de nourrir les moustiques ? Ou de nourrir les tigres qui vont nous dévorer ? »
C’est une vision très autocentrée. Et dans l’écologie on a beaucoup ça, cette vision autocentrée et mue par la peur d’un inconfort, de ne plus avoir à manger, de ne plus pouvoir se déplacer, de ne plus pouvoir boire de l’eau, etc. D’un coup on se met à se dire qu’il faut protéger la nature, mais finalement ce qu’on protège c’est quelque chose qu’on perçoit comme notre environnement.
Conclusion
Donc là j’évoque une forme de sortie de ces dilemmes et de ces paradoxes, qui pourrait être de se considérer comme faisant partie de la nature, suivre nos élans intérieurs notre nature intérieure et faire confiance dans le fait que si on est en connexion avec notre sensibilité, avec ce que nous sommes au fond de nous, de façon individuelle, ça va forcément transformer la globalité.
Ça ne veut pas dire qu’une politique écologique n’est pas nécessaire, je pense qu’elle est nécessaire, mais il est certain qu’elle n’est pas suffisante et que son efficacité est très limitée si en même temps on ne transforme pas notre relation à la nature et notre vision de la nature. Une vision de l’être humain qui fait partie de quelque chose de beaucoup plus grand, qui n’a pas la place centrale, qui fait juste partie comme beaucoup d’autres animaux des habitants de cette planète.